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Lucinda
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Seth regardait le cadre avec une forme de désir et d’appréhension : s’attarder sur les détails du bois, suivre les lignes et glisser sur les angles droits, retarder l’échéance, attendre encore un peu avant de se confronter aux images. Derrière lui, avachi dans le canapé, son frère Miles passait lentement sa main dans les poils mi-drus mi-doux de sa barbe et les yeux dans le vague semblait lui aussi penser à un passé révolu (« Cast a Net »). Puis soudain, épuisé par sa propre incapacité à regarder la réalité en face, Seth plongea ses yeux sur le portrait de famille. Pris dans le salon de leur grand-père (on y voit en arrière plan sa fameuse bibliothèque qui regorgeait de livres d’art surprenants), le cliché laissait aujourd’hui une impression étrange : au premier plan, tenant dans ses mains son fameux chapeau fétiche qui tranchait toujours avec les tons sombres de ses costumes, Michael Gira, leur père adoptif, habitait l’espace ; tandis que eux, les quatre frères paraissaient légèrement en retrait comme perdus dans leurs fringues d’adolescents. Avaient-ils été une vraie famille ou simplement un collage un peu grossier de différentes personnalités ? Une rage teintée de tristesse étrangla alors Seth au point de l’obliger à jeter violemment le cadre à terre, et le tintamarre ainsi produit sortit irrémédiablement Miles de ses pensées. Ils se regardèrent un moment ; des larmes coulaient sur le visage du plus jeune des deux frères (« Canopy »).

Seul à l’étage, Dana tapait sur ces fûts en calant la rythmique sur le générique qui défilait en fond sur la télé (« Fuji I (Global Dub) »). Le vieux était parti ? Il avait mieux à faire ? Il préférait renouer avec son ancienne vie plan-plan ? Tant mieux ! Ils n’avaient pas besoin de lui. Lorsqu’il avait séduit leur mère, il s’était senti investi d’une mission, mais personne ne lui avait rien demandé ! Ils se débrouillaient très bien avant de le connaître, ils se débrouilleraient encore mieux après (« Another Sky »). Et il continuait à taper encore et encore, de plus en plus fort, de plus en plus frénétiquement, jusqu’à ce que la peau saigne.

Tous les hommes réagissent différemment face au sournois sentiment d’abandon, mais s’il y avait bien une chose dont les frères Akron étaient sûrs, c’est qu’il fallait continuer coûte que coûte ! Que ce soit pour l’humilier, pour se venger, pour lui faire regretter son choix ou pour tout simplement lui donner envie de revenir ; chacun avait une bonne raison de se donner corps et âme, des raisons qui concourraient toute en un point unique : se dépasser et l’impressionner ! (« Light Emerges »). On peut tourner des heures autour de la question, au final nous ne recherchons tout que la reconnaissance du père.

Depuis quelques semaines, leur mère flirtait avec un new-yorkais du nom d’Avey qui malgré une situation difficile – il n’était alors pas du tout aisé de composer avec les émotions à fleur de peau des garçons – avait réussi à se faire accepter très vite et pouvait déjà se permettre, sans aucune autre prétention, de donner une tape amicale dans le dos de Seth et de lui conseiller plutôt telles harmonies vocales que celles-ci (« SILLy BeArZ »). Après tout c’est elle qui avait raison, il fallait bien avancer. Il ne s’agissait pas de se renier ou d’oublier ce qu’on avait été mais juste de composer avec les nouvelles cartes avec une passion et un engagement intact (« Say What You Want To »). Nul doute qu’en écoutant « The Cosmic Birth and Journey of Shinju TNT » cette nouvelle réinterprétation du patronyme, Michael Gira serait obligé de leur envoyer un signe, une marque d’affection ou la preuve d’une déchirure partagée ! Oui il ne pourrait les ignorer (« Creator »).

Voilà c’étaient les dernières nouvelles que m’avait fait parvenir la fidèle Lisa Germano. Pourquoi avais-je cherché à en savoir plus sur ces gens que je n’avais jamais connus ? Parce que si le retour dans ma vie de mon père biologique m’avait apporté une stabilité et une confiance nouvelle, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce qu’il avait sacrifié pour me retrouver et à combien mes demi-frères historiques devaient souffrir et endurer ce que j’avais enduré moi-même durant la deuxième partie de mon adolescence. La sensation de manque est une chose terrible que je ne souhaite à personne et il serait indécent ici de ne pas culpabiliser. Ma légitimité à être auprès de Michael n’enlevait rien à leur souffrance ; même si dans leur cas la souffrance était un moteur.

« So It Goes » et malgré ses blessures Akron/Family releva la tête et affronta le monde comme les hommes qu’ils étaient devenus.

Note : 8/10

>> Cette critique est la deuxième partie d’une nouvelle entamée avec la critique de « My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky » de Swans

https://www.youtube.com/watch?v=ZqGF2X3bGtM