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Au regard des autres formes narratives, le jeu vidéo fait figure d’adolescent. Surdoué certes, mais adolescent tout de même.

La force d’immersion dont fait preuve Dead Space 2 constitue donc une terrifiante surprise.

Attention, Dead Space 2, suite du déjà fort réussi Dead Space (2008) et sorte d’Actioner / Survival Horror / Third Person Shooter, puisqu’il lui faut une case, vaut son pesant d’emprunts à peine déguisés.

Le jeu vidéo est un adolescent sous influences.

Résumons : dans une lointain futur mais pas trop, il s’agit d’incarner Isaac Clarke. Ingénieur sur l’USG Ishimura, un vaisseau qui n’est pas sans évoquer le Nostromo d’Alien. Isaac a passé l’essentiel de Dead Space premier volet a démembrer du Nécromorph (comprenez du cadavre mutant belliqueux) dans des couloirs sombres aux murs ensanglantés avant de sauver l’univers d’un monolithe extra terrestre très inquiétant qui n’est pas sans évoquer celui de Kubrick en plus laid. Le tout au son d’une comptine lancinante qui n’est pas sans évoquer le cinéma de David Lynch.

Les Necromorph de Dead Space constituaient un mix des zombies de George Romero et de la créature parasite imaginée par Carpenter dans son remake de The Thing. La rythmique comme le gameplay s’inspiraient ouvertement de la série Resident Evil, maître étalon du Survival Horror.

Parlez d’influences.

Trois ans plus tard, Isaac Clarke, rendu plus ou moins cinglé par le premier opus, est gardé en observation psychiatrique sur la station Titan (que tout le monde appelle «The Sprawl» pour une raison qui m’échappe), quand soudain – tadaammm – tout recommence, et la folie se répand à nouveau : Nécromorphes partout / couloirs sombres / murs ensanglantés / sauver l’univers et tout ça.

Il s’agit de donner au joueur ce qu’il attend : de l’action, du gore, des monstres qui font sursauter et une prise en main aisée. Il s’agit de jouer en terrain connu. Pesanteurs inhérentes au modèle de la franchise à gros budget.

Le jeu vidéo est un adolescent qui ne voit guère plus loin que le bout de sa licence.

Blockbuster aux ambitions avouées, Dead Space 2 remplit le contrat. Techniquement irréprochable, doté d’un gameplay sans défauts et d’une durée de vie conséquente (compter une douzaine d’heures pour terminer la campagne solo) Dead Space 2 constitue un excellent divertissement d’action SF à l’atmosphère soignée, pour peu que l’on apprécie les démembrements de cadavres mutants réanimés. On recommandera donc aux coeurs les moins bien accrochés de se tenir à distance respectable. La chose s’avère assez dégueu, tout de même.

Mais le jeu vidéo est un adolescent bien né.

Moins contraint que le cinéma. Doté d’outils narratifs impensables sur support écrit. Le jeu, une fois respecté le cahier des charges AAA, peut s’offrir toutes les outrances scénaristiques. Comprenez les plus indigestes (ici insérez d’innombrables exemples) comme les plus raffinées. On pardonne encore bien souvent au jeu son indigence, en l’exonérant d’une lourde charge : raconter.

La liberté de ton du jeu réussi tend vers l’absolu. On tient déjà un bon divertissement. Restent les figures libres. Carte blanche est donnée, ou quasi : là où le cinéma dit «de genre» ne peut compter que sur sa capacité à capter l’audience sur la base de postulats simples, le jeu doit compter sur un gameplay captivant dès les premières minutes.

Avantageuse contrepartie: une fois le contrat rempli, Dead Space 2 s’offre le luxe de pouvoir conter.

Miracle : le jeu vidéo est un adolescent surdoué.

Dead Space 2, sous ses airs de train fantôme spatial abusant d’effets de manches efficaces mais aisés, pratique un audacieux entrisme psychologique en distillant chez le joueur malaise bien réel et terreur durable. En explorant The Sprawl, station dévastée, on visite des lieux de vie familiers désormais saccagés (l’école élémentaire, glaçante…). Le procédé est commode et redoutable, utilisé avec brio par les séries Fall Out et Bioshock, mais aussi par The Road, et The Walking Dead, brillant comic book auquel Dead Space 2 emprunte sa séquence d’ouverture.

L’ennemi est ici intérieur : la folie meurtrière, collective, qui mène à l’Apocalypse selon Isaac est bel et bien humaine. Et l’on songe aux réflexions de Stephen King, affirmant le récit d’horreur comme reflet des angoisses collectives au travers des thématiques abordées.

Pire – ou mieux, c’est selon : L’Eglise de l’Unitologie, fort crédible, fondée sur la foi en un humain créé par une entité extra-terrestre, joue un déterminant rôle dans l’apocalypse dont le joueur s’avère l’impuissant témoin. Là où un Bioshock abordait la critique du modèle politique et social, Dead Space 2 flirte avec la mise en cause de la religion en cristallisant de facto ses dérives fanatiques.

Encore pire ? D’accord. Isaac Clarke, protagoniste principal, ne fait pas que croiser la folie. Il l’incarne. En se payant le luxe de questionner sans équivoque la santé mentale de son héros, Dead Space 2 construit une profondeur narrative insoupçonnée, diffuse une peur viscérale et tutoie les sommets de trouille atteints par le Silent Hill de Konami en son temps.

Pour exemple, la bande-son – cruciale ici car ce qui ne se voit pas terrifie – malmène le cortex en permanence. Il faut entendre des voix féminines presque inconnues, chuchoter “Make us one”, mantra oppressant, tandis que le joueur se demande si, après tout, ce qu’il voit est bien réel ou constitue le vénéneux fruit d’hallucinations démentes.

Oublions les quelques facilités embarrassantes auxquelles cède parfois Dead Space 2 (les climax et twists prévisibles, la voix d’Isaac, trop héroïque pour être honnête) pour n’en garder que l’essentiel : un remarquable voyage au plus profond de l’effroi.

Au détour d’un couloir, une demi-heure après le début du jeu, une laverie automatique. Des machines, hublots fermés. Juste assez grandes pour y enfermer un enfant. De l’une d’elles proviennent soubresauts et cris étouffés, à peine humains.

Le diable est dans le détail. La peur aussi.

Note : 8/10

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