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Les mains agrippées sur le volant comme s’il s’agissait de la dernière chose au monde à laquelle on pouvait encore se raccrocher, la posture légèrement cambrée, la tête immobile et le visage strict, Comsort fixait la route d’un regard puissant comme s’il se concentrait pour faire disparaître celle-ci dans la nuit noire. Le moteur ronronnait avec une régularité et une finesse qu’il n’aurait jamais imaginé que cette vielle carcasse puisse encore produire et chaque passage de vitesse plongeait les passagers dans un nouvel état d’apaisement ou de crispation (« Rano Pano »).

Pourtant il y a quelques mois de ça, il n’aurait pas donné cher de ce bus fatigué qu’il conduisait depuis maintenant seize ans – superstitieux de nature, il avait rapidement exigé de ne conduire qu’exclusivement celui-ci. Effectivement, le véhicule avait l’air brisé et prêt à rendre les armes, un peu à l’image de cet aigle effacé qui décorait laborieusement les deux ailes (« The Hawk is Howling »). Lorsqu’on appuyait sur l’accélérateur, on n’entendait qu’un long râle qui finissait toujours par mourir noyé par les bruits de la ville. S’il ne s’était pas battu corps et âmes pour que la compagnie paye les réparations, nul doute que cet assemblage brinqueballant de pièces usées aurait fini à la ferraille. Mais voilà, il avait su défendre son partenaire mécanique et un soir d’août 2010, le véhicule était ressorti du garage, flambant neuf et à nouveau prêt à l’accompagner sur les trajets les plus escarpés (« Special Moves »).

Malgré l’état incertain du bitume, il enclencha la cinquième et la soufflerie produite par le moteur devient bientôt à la fois si hypnotique et si pure que des notes de piano cristallines apparurent dans son champ sonore (« Death Rays »). La campagne qui s’étendait de Siem Reap à Hô Chi Minh se dressait de parts et d’autres, l’auto-radio jouait le générique de fin et le bus s’enfuyait vers l’infini (« White Noise »). Admiratifs de cette masse qui s’élançait dans l’obscurité, des motos vinrent se coller aux flans du véhicule. Ces deux-roues vétustes ne possédaient pas de feux d’éclairage et leur survie dépendait du halo de lumière produit par la plus grosse des machineries ; ils avaient besoin d’un leader qui les guiderait et qui éclairerait leur chemin. Les auto-radios des motos se calèrent également sur la même station et le cortège s’empara de la nuit. Réunis sous un même drapeau incandescent, ils trouvèrent leur voie sur ce chemin que la fin de la décennie avait condamné à ne plus jamais être emprunté (« San Pedro »).

Quelques heures plus tard, le bus stoppa net et toutes les motos s’arrêtèrent avec lui. Dans le silence que venait de générer le seul arrêt du moteur, on percevait enfin la faune qui ne dort jamais, qui est toujours en équilibre sur une branche ou en suspension sur une feuille ; au loin les plus vigilants des voyageurs pouvaient voir un feu de camp et imaginer les notes qui devaient accompagner les rythmiques de la nuit. (« How To Be A Werewolf »). Sans même descendre du bus, Comsort sortit son téléphone et passa un coup de fil à sa femme : il n’avait que faire des gens qui l’entouraient, de ces passagers interchangeables ; il ne craignait ni les touristes affolés qui ne parlaient pas sa langue, ni les khmers qui dormaient impunément. Qu’ils l’entendent, qu’il les dérange, il s’en fichait. Pourtant au bout du fil personne ne lui répondait. Il entendait son souffle, il sentait sa gorge nouée, mais nuls mots ne sortaient. Sa fébrilité traversait le pays et se logeait dans sa main : non elle ne lui répondrait pas, il n’y avait plus rien à faire. Les mots ne nous sont dans ces cas là d’aucun secours ; on ne peut convaincre l’être perdu. Oui les mains s’agrippaient au volant parce qu’il s’agissait de la dernière chose au monde à laquelle il pouvait encore se raccrocher (« Letters To The Metro »). Il appuya violemment sur les pédales et la machinerie retrouva ses sonorités apaisantes. Il tapota sur le micro, il voulait dire à ses passagers qu’il les méprisait, qu’ils ne pouvaient pas compter sur lui. Mais, passée par les filtres de ce matériel électronique d’un autre temps, sa voix se déforma et une mélodie déformée se déploya dans les enceintes : personne ne comprenait les mots mais tout le monde imaginait le sens ! (« Mexican Grand Prix »).

L’obscurité pesait sur les yeux des motards qui blottis contre la chaleur du bus, protégés par son faisceau et bercés par sa mélodie en oubliaient le rôle qu’ils avaient à jouer. Le calme avant la tempête. Le monde s’éteignit, les auto-radios se turent peu à peu ; plus de cris, plus de rire, tout était calme (« Too Raging To Cheers »). Une première moto à bâbord dévia de sa trajectoire et finit sa course dans un ravin qui s’était dissimulé dans l’obscurité. Puis un jeune-homme, vêtu malgré la vitesse d’un simple T-shirt Mono, s’affaissa sur son guidon et perdit le contrôle : sa moto frappa violemment le sol mais la route absorba le bruit tout en retournant le choc de plein fouet ; un simple cri étouffé dans le casque. Les deux-roues tombèrent alors comme des mouches, et Comsort ne faisait plus la différence entre les aspérités du sol et les bosses humaines ; les corps passaient sous les roues et le bus continuait de filer vers l’infini. Hardcore Will Never Die, But You Will.

Mogwai, lui aussi court dans la nuit noire. Le long d’un chemin défini, il ne prend jamais la contre-allée et fusionne ses constructions avec la linéarité de la nationale. Moteur et crissement, chauffage et climatisation et des couches sonores qui se superposent encore et encore au point d’étouffer l’espace. Et au milieu de ce brouhaha intensif, la radio dont le volume a été poussée au maximum qui s’obstine à vouloir se faire entendre distinctement ! La cacophonie est proche mais les écossais n’en n’ont que faire ! Les yeux injectés de sang et rivés sur la route, rien ne les détournera de leur objectif, de leur destination finale. Il y a toujours cette même conviction chez Mogwai mais aussi ce même égoïsme. S’ils se réjouissent dans un premier temps de cette confiance retrouvée et de cette virile autorité, les passagers deviennent pourtant vite les prisonniers d’un groupe qui a sacrifié son humanité sur l’autel de sa course effrénée.

Parfois aux aguets, parfois en automatique, Mogwai délaisse alors la finesse pour la vitesse. Peu importe le nombre et le type d’engins qui viendront se greffer à ce cortège sonore, tout le monde sera sournoisement affilié puis abandonné sur le bas-côté sans la moindre compassion.

Note : 6/10

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