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ESSENTIAL KILLING de Jerzy Skolimowski

Sortie le 6 avril 2011 - durée : 01h23min

Par Thomas Messias, le 05-04-2011
Cinéma et Séries

C’est un film sans clé, sans mode d’emploi, qui désarçonne de prime abord et ne cessera d’évoluer dans ce sens tout au long de la projection et bien après. Un film désorientant sur la désorientation. Une odyssée troublante, aussi épique qu’intimiste, avec pour parti pris principal celui de n’en avoir aucun. Essential killing est une oeuvre âpre, difficile à appréhender, qui ne répond à aucune attente mais en crée brillamment d’autres, pas à pas, tâtonnant avec fougue pour mieux nous cueillir à chaque virage.

C’est un film dont tous les résumés, toutes les analyses ne peuvent que se fourvoyer immanquablement. Le metteur en scène polonais Jerzy Skolimowski a choisi de livrer un film apolitique, muet ou presque, dont le héros est un terroriste présumé et où rien ne permet de déterminer s’il en est véritablement un ou non. Ce Mohammed est un mystère, mais jamais le film ne tente d’en faire une énigme. C’est juste un homme seul, perdu, traqué, contraint de puiser en lui-même une animalité qu’il ne soupçonnait même pas pour tenter de sauver sa peau et sa dignité d’être humain. Il faut choisir de le suivre corps et âme ou quitter la salle illico, sous peine de sombrer dans un cynisme qui n’a rien à faire ici. Essential killing est un film puissamment premier degré, où chaque geste compte, où l’inconséquent devient soudain vital, où la régression devient nécessaire.

Le film est court mais apparaît pourtant comme une sacrée épreuve, à plus d’un titre. D’abord par sa façon de rejeter en bloc tout message, toute thèse, toute morale. Ensuite par son manque d’enrobage formel, la mise en scène accidentée et presque rudimentaire de Skolimowski ayant de quoi choquer l’oeil malgré une cohérence assez étourdissante. Enfin parce que la quasi subjectivité de la narration rend l’ensemble plus qu’éprouvant. Aimer Essential killing c’est devenir Mohammed pendant plus d’une heure, croquer avec lui dans un poisson fraîchement pêché, se nourrir au sein d’une pauvre autochtone qui passait par là. C’est aussi accepter et vivre son total mutisme, qui accroît son magnétisme et son aura tout en parachevant les envies de neutralité du cinéaste.

Bien sûr, il y a çà et là quelques sautes de rythme, quelques instants moins planants où l’expérience redevient un simple film. À commencer par la rencontre du héros avec la femme jouée par Emmanuelle Seigner, actrice habituellement sous-estimée mais qui gâche ici la seule scène qui lui est confiée, manquant même de précipiter la fin du film dans un flot de ridicule. Mais le film s’en relève, et pour cause : très vite, Mohammed est de nouveau seul à l’écran. Mohammed, c’est Vincent Gallo, plus grand artiste de l’histoire de l’univers, génie absolu cachant difficilement son mal-être absolu derrière d’hilarantes provocations, acteur incroyable qui, tel le phoenix, renaît de ses cendres à chaque film. On oublie rapidement à quel point son incroyable voix nous manque, pour mieux se laisser balader par une prestation physique mais sensible, comme un héros de film d’action en plein retour d’acide. Son regard bleu profond, son épaisse barbe, ses gestes précis et désespérés nous rappellent si besoin où nous sommes : dans une quête sans but, un brutal retour à la terre, un long périple vers un ailleurs qui n’existe pas. Bienvenue dans le voyage sans illusion d’un cinéaste et d’un acteur qui ont idéalement uni leurs névroses respectives.

Note : 8/10