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LA FÊTE DU SIÈCLE de Niccolò Ammaniti

Par Anthony, le 06-06-2011
Littérature et BD

“Vous êtes une réalité insignifiante dans le dur panorama du satanisme italien.”

On peut comprendre la colère de Saverio Moneta dit Mantos, leader de la secte des Enragés d’Abaddon (4 membres), lorsque cette vérité lui est assénée par son rival en matière de culte du Malin (personnellement, je lui aurais ouvert les entrailles à coup de crucifix en chantant une chanson de Led Zeppelin à l’envers…). Mais dans un pays où même les satanistes en sont arrivés à concocter des stratégies de prise de part de marché, où va le monde, ma bonne dame, je vous le demande…

En observateur caustique de l’Italie de Berlusconi, Niccolò Ammaniti peint à grands coups de pelle le portrait d’un pays décadent et apparemment fier (ou inconscient) de l’être, où les satanistes sont loin d’être les plus ridicules. Cette Fête du Siècle, c’est le passage à tabac d’une société où la vulgarité est élevée au rang de modèle, l’extermination d’une aristocratie médiatique et économique qui ne pense qu’à jouir sans entraves ni valeurs morales. Carpe Diem et Vaffanculo !

Tout le monde passe devant le peloton d’exécution du procureur Ammaniti : Fabrizio Ciba, le jeune auteur bellâtre en panne d’inspiration après le succès d’un de ses romans, Mantos, le loser qui étouffe la frustration de sa vie en dirigeant tant bien que mal les Enragés d’Abaddon, Chiatti, le milliardaire parvenu en quête de respectabilité, Simona, la blonde actrice au QI aussi mince que la surface de tissu recouvrant ses courbes généreuses, ou encore Bocchi, le médecin oubliant le serment d’Hippocrate pour embrasser le culte de Bacchus… Sans compter avec l’aréopage d’abrutis qui gravitent autour de ces personnages principaux, tous aussi misérables les uns que les autres.

100 pages suffisent à réunir tous ces bras cassés dans un cadre qui rassemble toutes les unités d’une pièce classique : le temps (une nuit), le lieu (une Villa romaine privatisée), l’action (La Fête du Siècle). Refusant une proposition d’OPA sur sa secte,  Mantos décide de réaliser un coup d’éclat suicidaire pour faire entrer son groupuscule dans la légende : commettre un crime rituel sur une ex-sataniste, Larita, devenue chanteuse de pop tendance “soupe de bons sentiments”. L’organisation d’une méga-soirée VIP par le riche entrepreneur immobilier Chiatti, louant les services de Larita pour un concert privé clôturant de délirantes chasses à courre, devrait permettre à Mantos et ses pieds nickelés de connaître leur heure de gloire. La fête devient alors l’épicentre de la superficialité du ghota romain, prêt à tout pour en être

Niccolò Ammaniti n’y va pas avec le dos de la cuillère et se livre dans La Fête du Siècle à une entreprise de démolition de la supposée élite de son pays, ponctuant son propos de cri de rage face à l’ineptie de l’Italie, maltraitant sa culture et son Histoire confisquées par de riches incultes. Comédie amère où le rire est jaune caca d’oie, où seuls s’en sortent (parfois) indemnes les rares personnages conservant au fond d’eux quelques traces de lucidité et d’humanité, La Fête du Siècle signe l’acte de décès d’une société qui ne sait plus ce qu’est la honte, à l’heure où aucune valeur positive ne compense plus la spirale négative qui tire l’Italie vers le bas…

Les limites de la farce sont toutefois atteintes ici dans une sorte de dommage collatéral du genre : oubliant l’adage clamant que les blagues les plus courtes sont toujours les meilleures, Niccolò Ammaniti a tendance à vouloir prolonger le grotesque jusqu’à inventer un dénouement vraiment too much, presque indigeste pour un lecteur dont les dents du fond baignent déjà dans une soupe d’aigreurs gastriques. La Fête du Siècle voit alors se diluer quelque peu l’intention initiale de son auteur, qui semble divaguer comme si son sujet avait tellement été poussé dans les outrances que seule une outrance encore plus aberrante pouvait lui permettre d’atteindre le climax de son histoire. A moins qu’il n’ait, finalement, préféré détourner son regard…

Peut-être traîne-t-il dans l’ADN collectif italien un gêne de décadence, un atavisme de la chute de l’Empire Romain. Comme une fatalité inscrite dans l’Histoire passée, présente et à venir, comme un goût particulier pour l’alternance entre la splendeur et la déchéance. A l’heure actuelle, Niccolò Ammaniti constate que le fond reste à toucher et que la seule solution consisterait à faire table rase de ce qu’il reste de cette société sans morale, dans un vaste Jugement Dernier des vacuités. Puis espérer que l’ère de Berlusconi ne sera qu’une réalité insignifiante à l’échelle de l’Histoire italienne…

Note : 7/10