Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

BREAKING BAD – Saison 4

Par Benjamin Fogel, le 13-10-2011
Cinéma et Séries

>> Attention Spoilers : il est préférable d’avoir vu l’intégralité des quatre premières saisons avant de lire ce texte.

Aux narrations découpées en saisons/chapitres, Breaking Bad répond, au travers de cette saison 4, par sa volonté de se détacher de la notion de temporalité télévisuelle : aucune discontinuité ne vient perturber la narration et les pauses dans le monde réel ne sont jamais corolaires d’une coupure dans le récit. Il n’y a alors plus de codes : la nouvelle saison n’existe plus ; il n’y aura ni nouveaux personnages, ni nouvelles intrigues, ni nouveaux enjeux ! La force de Vince Gilligan est de fonctionner par ajout de briques sans jamais sortir du tracé originel. Les récits parallèles (la cleptomanie de Marie Schrader), les diversions qui permettent in fine d’ébranler des certitudes (les déboires de Ted Beneke qui finissent par remettre en cause les liquidités dont dispose Walter), les zones de décalage à l’humour pervers (les minéraux de Hank), tout cela structure une évolution qui, à la manière d’un album post-rock, offre des moments d’accalmie et de développement passéiste pour, au final, mieux imposer la puissance de ses explosions, qu’elles soient esthétiques (ses plans à la photo parfaite d’une effroyable beauté), visuelles (la mort de Gus) ou psychologiques (la transformation de Walter). La tragédie se met calmement en place : la basse souligne gracieusement une guitare aux arpèges éthérés, et ce n’est que progressivement que les breaks de batterie s’intensifient et que l’électricité contamine les riffs.

Chaque nouvelle mutation de Walter relègue le cancer – pourtant point d’entrée de l’histoire – un peu plus loin dans la toile de fond : plus le mal psychologique l’habite, plus le mal physique disparaît ; et ce au point qu’aucune allusion ne soit plus faite à la maladie. Walter, en combattant la faiblesse de sa nature (sa lâcheté, son absence de charisme, son incapacité à se défendre contre ceux qui lui marche sur les pieds) a surtout combattu le cancer ; non pas parce que le moral et l’estime de soi jouent un rôle important dans les batailles contre les maladies, mais bien parce que ceux-ci lui ont ouvert des nouvelles portes et de nouvelles ambitions ! Walter veut se venger de ce monde qui le prenait pour un minable ; il cherche le respect et veut inspirer la crainte. Il se fiche bien de racheter la station de lavage où il travaillait, mais lorsqu’il apprend que son ancien boss le prend toujours pour une chiffe molle, il n’hésite plus une seconde. C’est comme cela qu’on arrive à la phrase clef de la saison 4 : “I am the danger. I am the one who knocks” ; c’est tout ce qui l’intéresse ; être celui qui fait peur, alors qu’il avait toujours été celui qui a peur. Breaking Bad ne traite pas d’autre chose : c’est une variation du syndrome du binoclard rejeté par la fille qui l’aime et violenté par le quarterback de l’école ; son seul objectif est de réussir pour écraser ceux qui l’ont méprisés. C’est pour cela que Walter est incapable de laisser Hank croire qu’il en a fini avec Heisenberg : il veut la reconnaissance ! Il se fiche bien au fond de l’argent (qu’il gaspille d’ailleurs n’importe comment, achetant une voiture sur un coup de tête, et soudoyant femmes de ménage et assistante comme si l’argent ne comptait pas). Non c’est juste ce vieux thème du Tony Montana qui revient encore et encore.

Pourtant, tout cela n’est pas réel. Le mythe Tony Montana n’est qu’une perception faussée que Walter a de lui même. Il reste un personnage médiocre, ridiculement colérique et pathétique, qui frise souvent le ridicule (il faut le voir trébucher et râler, non pas comme un truand, mais comme un père de famille alcoolique). On a plus l’espoir de le voir se métamorphoser en un héros de film noir ; on sait que c’est un être détestable à jamais. Walter White ne deviendra jamais Scarface, mais il semble le seul à ne pas le savoir !

Y croit-il encore lui même lorsqu’il prétend faire tout ça pour sa famille ? Et avec quel plaisir ne dit-il pas à son fils dans « Face Off », qu’il n’est personne, qu’il n’intéresse personne ! Il jubile, mais ne voit rien ; la scène la plus touchante étant à ce niveau celle où son fils lui dit qu’il n’est plus même depuis un an, et que l’image qu’il souhaite garder est celle d’un père qui pleure. Mais Walter ne comprend rien ; cela fait longtemps qu’il ne comprend plus personne. Il est un salaud qui porte un masque. Il est ce qu’il y a de plus méprisable dans l’être humain – ; on notera alors l’ironie de cet homme qui se croyait médiocre, et qui le devient vraiment en cherchant justement à ne plus l’être.

Lorsque Walter repousse les limites et s’en prend à un enfant, le subconscient de celui-ci pense que cette décision l’amènera au niveau d’un Gus : il joue avec son pistolet dans son jardin, ce dernier ciblant alternativement son corps et les fleurs de lys ; mais il ne se fiera pas au hasard ; quel que soit le résultat de cette roulette, il a pris sa décision ! Mais l’on ne devient pas Gustavo Fringe par simple recours au génie maléfique, et c’est ça que démontre cette saison 4 : Walter peut bien se transformer autant qu’il veut, sa médiocrité ne le quittera pas ; il n’a pas l’étoffe. Son « I won » est une farce ! Il croit avoir gagné, il croit avoir la reconnaissance, mais au fond il n’a rien. Il est devenu le gagnant, sans réaliser qu’il haïssait les gagnants.

Tout au long des épisodes, la luminosité diminue et les couleurs se font moins chatoyantes, le film noir s’installe mais le western continue de mener les postures. Les personnages ne se retournent toujours pas sur les explosions et un héroïsme teinté d’une coolitude contemporaine habite visuellement les scènes, à défaut de couler dans l’âme des protagonistes. Quel que soient les baisses de rythmes, les moments de tension en deçà, il y a toujours dans Breaking Bad un détail, une phrase, un plan, une scène qui prend aux tripes comme l’annonce d’une apocalypse à venir.

Le plan final, au combien symbolique, aurait pu être l’épitaphe de la série, mais Vince Gilligan, soutenu par la production, conclura Breaking Bad au sein d’une cinquième saison à mi-chemin entre le dénouement et l’épilogue. Peu importe l’angle choisi, peu importe le duel qui se jouera entre Walter et Jesse (le meurtre du père ?), peu importe le cancer qui refera surface en fonction des prises de consciences, quoi qu’il advienne la saison 5 devra composer avec le sceau de la déception ! La déchéance à venir de Walter White souffre d’un paradoxe : elle est à la fois trop attendue pour ne pas être prévisible, et trop nécessaire pour ne pas laisser un goût amer si elle ne se réalisait pas.

Walter White ne deviendra jamais Scarface, mais il ne redeviendra jamais Walter White non plus. Il est juste condamné à faire exploser au grand jour, et y compris en son sein, sa propre bassesse.

https://www.youtube.com/watch?v=Y7AvqD2loX4