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Lucinda
Georgia
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Nat Baldwin fait partie de ces hommes de l’ombre à même de cultiver la lumière dans l’obscurité. Bien que discrètes, chacune de ses apparitions sont pensées et nécessaires : en solo, en support essentiel (contrebassiste de Dirty Projectors) ou encore en contrepoids décisif (l’excellent split avec Extra Life porté par son amitié avec Charlie Looker), il imprime sa personnalité avec discrétion mais sans fausse-modestie.

« Peoples Changes », son premier disque chez Western Vinyl après trois albums chez Broken Sparrow, semble d’abord inoffensif : habité par un songwriting classique, il se contente en premier lieu de reproduire les schémas en remplaçant l’habituelle guitare acoustique par sa contrebasse ; et le fait que l’album s’ouvre sur « A Little Lost », une reprise d’Arthur Russel, n’est probablement pas étranger à cette première fausse impression.

Car dès « Real Fakes », on réalise que quelque-chose est entrain de se tramer et que sous la prairie verdoyante coule une rivière souterraine prête à jaillir et à noyer la végétation sous d’indomptables torrents : Nat Baldwin s’embaume d’une colorimétrie luxuriante mais sa contrebasse lutte, se tortille, se débat et soudainement décroche sous la forme d’une cassure free-jazz ; elle ne veut plus être une guitare, elle veut devenir le saxo de John Zorn ! Et c’est là toute la particularité de « Peoples Changes » : la contrebasse est à la fois ronde et crispée, avenante et grincheuse, prévisible et inattendue. Sur « The Same Thing » elle virevolte avec le violon de Caley Monahon-Ward (membre de Extra Life pour conforter l’impression de petite famille) et accompagne la voix aigue de Nat Baldwin, cette voix qui rappelle Antony Hegarty, le maniérisme en moins ; mais sur « Lifted » elle devient un démon, l’instigatrice du chaos qui s’accoquine avec le saxo de Matt Bauder pour affirmer son autre personnalité, pour plonger l’auditeur dans une folie jazz ; la contrebasse est duale bien au-delà de l’évidente opposition doigts vs archer.

Mais c’est peut-être l’instrumental « What Is There » qui éclaire le mieux la position de la massive pièce de bois : Nat Baldwin y entretient une relation charnelle avec elle tout en la poussant dans ses retranchements. Il en ressort une volonté d’en faire une reine capable d’assurer seule la gouvernance des chansons et on y sent la même passion, la même conviction que dans les titres du « New History Warfare vol. 2 : Judges » de Colin Stetson. Il y a quelque-chose de pure dans cette manière de porter aux nues son instrument, de crier au monde combien il se suffit à lui-même.

Comme chez Joanna Newsom, l’alchimie entre l’être et l’instrument dont on tient trop souvent pour acquise la dépendance donne un nouveau niveau de lecture où l’on ne sait plus qui s’exprime à travers l’autre.