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2011 au cinéma : souvenirs d’enfance et adolescence du cinéma

Par Alexandre Mathis, le 03-01-2012
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Bilans cinéma' composée de 7 articles. Chaque fin d'année, Alexandre Mathis se livre à une radiographie personnelle des douze mois cinéma écoulés. Voir le sommaire de la série.

Comme si le monde, pris dans la tourmente d’une crise qu’il ne comprend pas, avait besoin de se souvenir. Se souvenir d’un monde enfoui, parfois idyllique, parfois l’origine du mal. Ce passé s’appelle l’enfance, époque révolue, choyée, idéalisée. Le cinéma n’a fait que se remémorer en 2011, souvent par fragments. Au milieu de l’infiniment grand, du cosmos et de l’état du monde, le petit, l’intime eurent la place d’exister. The Tree of Life bien sûr mais aussi Super 8 , Tomboy ou The Scene of Suburbs (le court-métrage de Spike Jonze fait avec Arcade Fire) ont tous remis la caméra à hauteur du bambin. Céline Sciamma a magnifiquement capté tout le sérieux des questions liées à l’enfance. Son héroïne Laure se fait passer pour un garçon. A un âge où faire tomber le maillot ne révèle aucunement une physionomie de femme, Laure s’émancipe par le mensonge et le transgenre. Quête d’identité, recherche intérieure : en découle des moments de légèretés pures. Fragments éparpillés puis remodelés tels des haïkus.

Malick l’a assez mis en évidence quand Sean Penn se souvient de sa jeunesse dans le Texas, auprès de ses frères, de sa mère et de son père. Les tourments du présent s’immiscent dans les points de fuite du cadre. Un Sean Penn anguleux déambule à travers les déserts et son alter-égo enfant retrace l’essence de la vie. Spike Jonze saisit un moment de fraternité entre amis pour mettre en image les musiques de The Suburbs. Le film, d’une vingtaine de minutes, transformait chaque note en une précieuse pierre philosophale. Il fallait aussi tout le talent de Mia Hansen-Løve pour raconter l’amour perdu de ses jeunes années. Son souvenir, vivace, offre à Lola Créton un rôle catalyseur de la passion adolescente, celui du premier amour sans faille. Comme chez Sciamma, Hansen-Løve épouse le regard de sa jeune héroïne pour lui redonner la parole.

Parents martyrs

Et les parents dans tout ça ? Quand ils sont vivants, ils sont souvent les objets du sacrifice. Dans les deux plus beaux films de l’année, à savoir le Malick et La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, deux plans se ressemblent étrangement. Dans le premier, Jessica Chastain porte l’un de ses enfants dans les bras, regard tourné vers le rivage paradisiaque d’un monde idéalisé. Les tourments sont passés, le bien-être total. Similitude à la fin de La guerre est déclarée quand le couple Donzelli/ Elkaim porte leur jeune miraculé de la tumeur. Leurs trois regards contemplent le même horizon. Les parents soutiennent l’enfant, jusqu’à l’extraire de ses plus profonds tressaillements. Take Shelter, l’autre grand film découvert en 2011 (mais dont la sortie est en 2012), montre aussi un père – Michael Shannon – étreindre dans ses bras sa petite fille. Il la protège des attaques de corbeaux. Chastain, incarnation maternelle par excellence, symbolise ce que le cocon intime a de rassurant. Mais puisque la famille n’est pas qu’un refuge, elle est parfois un endroit d’abandon. Les gamins de Super 8 ne s’en sortent pas trop mal (le père trop travailleur a tout de même un œil sur son fils). Ils compensent l’absence de lien parental fort grâce à leur curiosité qui les amènera à renouer le dialogue avec le monde “des grands”. Le substitut du père est à double tranchant dans La Planète des Singes : les origines. Ici, le plus jeune veille sur l’aîné. James Franco tente de sauver son père grâce à ses expériences sur le cognitif. César, le singe surdoué, est à la fois l’enfant créé tel un monstre de Frankenstein et l’antidote pour sauver le père de la maladie d’Alzeimer. Cette exploitation infantile n’aurait pu devenir qu’un outil de vengeance si Rupert Waytt avait fait un film simplet. Or, la filiation sauve le monde plus qu’elle ne le détruit. Le singe protège du chaos qu’il provoque les rares Hommes qu’il estime. On assiste à une sorte de protection filiale.

Des parents bienveillants, tous les héros de 2011 n’ont pas eu la chance d’en avoir. Doublement esseulée, la douce Saoirse Ronan n’a cessée de courir. Elle venge sa mère dans Hanna, préparée à la dure par son paternel. Dans Les chemins de la liberté, elle est la gamine orpheline au milieu de loups aux crocs trop peu aiguisés pour convaincre. Winter’s Bone développe aussi l’idée d’un parent disparu. Ici, c’est Jennifer Lawrence qui gère les frères et sœurs tout en enquêtant au milieu de redneks effrayants. Situation presque similaire dans True Grit où Hailee Steinfield confie sa chasse à l’homme à deux roublards. Comme si ces films, tous ventant la liberté des grands espaces et d’indépendance, ne provoquaient l’aventure qu’en dépit de l’absence d’une valeur refuge. La preuve encore avec Incendies. Le film de Denis Villeneuve avait ouvert l’année de son ravageur coup dans la gueule tant la famille venait détruire l’enfance. Un choc tellement rude qu’on n’en dira pas plus pour ceux qui ne l’aurait pas vu. Polisse aurait dû être le grand film somme de ces enfants meurtris. Mais Maïwenn, par excès d’enthousiasme au mieux, de populisme gerbant au pire, concocta un horrible drame où l’enfant ne constituait qu’un prétexte scénaristique. Il faut dès lors aller chercher ailleurs les deux films somme de cette année, deux pépites passées trop inaperçues. D’abord Il était une fois un meurtre, un polar où le mystère d’enfants violés et assassinés à 20 ans d’intervalle fait d’eux les vraies victimes d’un monde qui répète ses erreurs. Il rappelle le pessimisme de Mystic River. Le second, Putty Hill explore le quotidien entravé de jeunes ados de Baltimore après le décès de l’un d’entre eux. Toute la fougue d’un Larry Clark et d’un Gus Van Sant (en petite forme avec Restless) fait coïncider audace de mise en scène et image d’une génération.

La puberté du Cinéma

Et si en filigrane de ces enfants, c’était le cinéma qui parlait. Et si c’était lui qui réclamait de la fougue. Admettons que le Cinéma en tant qu’entité s’exprime. Il connaît une adolescence difficile. En plus des éternelles questions de téléchargement, le format numérique le perturbe. Cannes a projeté presque tout ses films en numérique, le tournage en pellicule devient peu à peu minoritaire. Comme un bouton qu’il n’arrive pas à percer, le Cinéma se questionne déjà sur son avenir. « Qu’est-ce que je ferai quand je serai grand ? Ces nouvelles technologies me suffiront-elles à renouveler la création ? ». Abrams, Allen et Herzog servent de conseillers d’orientation. Leur message : « souviens-toi d’où tu viens ». Des paroles de vieux sages littéralement expliquées par le mutique The Artist. Dans une réactualisation de Sunset Bouvelard, le film de Michel Hazanavicius revient sur le passage du muet au parlant en se parant de son costume en noir et blanc. Hugo Cabret et La Grotte des rêves perdus vont un peu plus loin dans l’analyse. Chez Scorsese, c’est tout le cinéma des origines qui parle au présent. La figure d’Hugo, orphelin reliant son père au Voyage dans la Lune de Méliès, est une incarnation des cinéastes d’aujourd’hui, héritiers directs du grand Georges tout en innovant vers l’avenir (Spielberg et son Tintin en sont la preuve). La Lune de Méliès s’offrait alors au relief. Chez Herzog, la passerelle temporelle est encore plus vertigineuse : le proto-cinéma des peintures rupestres se lie avec la 3D du film. Les chevaux de la grotte Chauvet semblent eux à portée de main. Les fragments de l’enfance énoncés plus hauts construisent ainsi l’avenir.

Là encore, deux films somme façonnent cette élévation de la chair – ou de la pellicule – vers quelque chose de nouveau. Il faudrait mêler les sous-estimés La Piel que Habito avec The Green Hornet. Almodovar manipule la peau d’une femme comme s’il s’occupait de transformer un corps adolescent, ambivalence sexuelle comprise. C’est en substance ce que fait Gondry avec le cinéma. Lui le bidouilleur, auteur fourmillant d’aspérités stylistiques, se fond au diktat hollywoodien. Avec The Green Hornet, il procède comme Banderas. Il prend un corps qui ne lui plaît pas – le blockbuster formaté – et le modèle à son image. Il crée alors le film de super-héros le plus puéril (la Seth Rogen touch) avec son savoir-faire à bon escient (ici un plan séquence en voiture, là un spleet-screen, quelques effets de 3D). Plus fort encore, son « usine de films amateur » rend le cinéma et le spectateur au statut d’enfant après lequel on ne cesse de courir. Des équipes mettent sur pied en quelques heures un petit film où seul la créativité importe. Le reste est fourni. Le projet de Gondry va plus loin que l’amusement. Il restitue la part de curiosité et d’expérience que le Cinéma craignait de perdre. Car soyons réaliste, en 2012 comme à l’avenir, le Cinéma ne deviendra adulte qu’en restant enfant.