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Dans la grande architecture du hip hop, il y a l’art lui-même, la créativité, l’inventivité. Mais il y a aussi les fondations. Le rap, c’est aussi un côté pratique et terre-à-terre, des bases solides pour asseoir le flow. La brique du hip hop, c’est le sample. C’est détourner un standard, une grande chanson, un détail d’un titre pour reconstruire la musique, en faire une ossature solide et nouvelle, sur laquelle le MC viendra déposer ses mots. Le maçon de ces constructions, c’est le DJ, le mec derrière les platines. Le véritable architecte, c’est lui. Il est le beatmaker, celui qui conçoit, qui pense et qui offrira le cadre idéal aux déclamations des autres.

Bien sûr, l’originalité prime toujours. Sinon, il suffirait de balancer un beat à 120, une petite ligne de basse tirée d’un classique du funk, quelques détails de production, et avec un bon MC, vous avez un titre correct. Le rap, au final, c’est qu’un gimmick, c’est les synthés kitsch et jouissifs de Grandmaster Flash, et la simplicité assumée des instrus de DJ Yella pour le NWA. L’originalité, à l’époque, elle était ailleurs. Elle était dans le discours, la haine de chaque mot, les insultes et le style. Le sample, c’était juste un beau tapis pour que d’autres brillent. Le DJ est dans l’ombre. Bien vite, il fait bon de se démarquer, d’aller chercher ses samples ailleurs que sur les vinyles de soul et de funk. Nas va te chercher Beethoven, Immortal Technique la bande originale de Love Story, Orishas qui reprend Compay Segundo et The Roots, l’année dernière, ont ramené Joanna Newsom. Le sample est devenu critère de qualité et d’inventivité. Au point qu’on regrette et critique le recours simplicité. Kanye et Jay-Z qui ressortent leur Otis Redding, c’est fuir la difficulté pour ces deux avant-gardistes.

Mais, reconsidérons le sample, cette bribe de son diluvien qu’on réutilise, ces vinyles dont on use les sillons jusqu’à épuisement. Il faut y voir plus qu’un hommage aux grands anciens. C’est à la fois un moyen de se démarquer des autres, de montrer sa dextérité derrière les platines, mais c’est surtout l’éternelle histoire de la musique. Le sample, c’est la nouvelle forme de la folk song, cette chanson gravée dans l’éternité que les songwriters reprennent. Chaque interprétation est différente. Ces chansons sont éternellement envie parce qu’il y a des chanteurs pour les chanter. Ces chansons sont immortelles, c’est Joan Baez qui dit que “Silver Dagger” est une vieille chanson de Dylan. Alors qu’elle date de 1907. Le sample est maintenant profondément incrusté dans l’histoire de la musique américaine. Et sampler une chanson déjà utilisée par un autre DJ n’a rien du manque d’inventivité, c’est juste puiser dans les ressources de la musique américaine, comme les folk singers le faisaient dans les années 30.

Pas étonnant de voir Raekwon enfin sampler le “Inner City Blues” de Marvin Gaye (la meilleure ligne de basse du monde) sur son dernier EP. Même s’il le fait discrètement, l’espace de deux mesures, le clin d’œil est appuyé, il retourne aux racines américaines du funk et de la soul, aux grands espaces du groove de maître Gaye et des sires du funk. La course au sample s’est arrêté, parce qu’il ne s’agit plus de se démarquer des autres, mais de construire une maison solide, faite des bases indispensables du hip hop : rythme et groove. La rage, la haine et la classe viennent seulement après.

Le sample est au centre du travail d’Exile, sur Give Me My Flowers While I Can Smell Them. Le beatmaker va creuser la culture US au plus profond. Il en ressort Tom Waits, le générique de Mister Rogers’ Neighborhood, l’arbre de Noël des Supremes, les Fugees, sans complexe. Les samples sont en plein jour. Les voix restent tout au long des morceaux. Les parties volées ici et là s’intègrent alors parfaitement, et le travail de Blu & Exile devient juste une interprétation de plus d’un standard. Ils perpétuent la tradition de la folk song comme rarement dans le hip hop. Rendre hommage plutôt que s’approprier et cacher. Revendiquer ses influences, sa culture, d’où on vient, sans l’enrober d’une classe fantasmée, des pourtours sexistes et des bagues en platine.

Give Me My Flowers While I Can Smell Them a été enregistré en 2008 et 2009, sans véritable intention d’en faire quelque chose. Juste pour mettre du son sur une amitié entre deux hommes. Il est à peine produit et masterisé, ce sont justes les titres comme ils étaient sur le moment. Give Me My Flowers While I Can Smell Them s’apparente aux Basement Tapes de Dylan. C’est un coup de chapeau à l’Amérique et ses chansons qui n’aurait jamais dû voir le jour. Mais on le prend comme il est, avec sa spontanéité et son envie, sa grâce et sa foi. Dylan avait enregistré dans sa cave avec The Band, pour tuer le temps, des vieilles chansons traditionnelles. Blu & Exile se font plaisir sur les samples les plus faciles du monde. Ils se contentent du plus simple : un sample, un beat, un flow. Et le résultat est simplement ce qu’on a entendu de mieux en rap depuis une paye. Voilà les Basement Tapes du hip hop, une œuvre déjà incontournable, parce qu’elle dépasse simplement le cadre du rap, et l’ancre un peu plus dans la musique américaine.