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Dominique A, assumer et construire

A propos de Vers les Lueurs et de la réédition des huit premiers albums

Par Benjamin Fogel, le 03-04-2012
Musique

Usuellement la réédition de l’intégralité des disques d’un artiste, agrémentés de bonus, lives et démos fait écho à l’une des significations suivantes : soit elle cache un leitmotiv financier – besoin d’argent pour l’artiste ou bien nécessité de faire tourner le fond du catalogue pour le label –, soit elle traduit une relation conflictuelle entre l’artiste et son œuvre. “Conflictuel” est peut-être un terme un peu fort, mais l’on ne revient pas volontairement ainsi sur le passé si l’on n’a pas des choses à régler avec lui. Ainsi plein d’artistes se retrouvent à guetter les périodes de creux discographiques ou d’absence d’actualité. Ils cherchent à faire une pierre deux coups : cadrer le passé (en gardant le meilleur et parfois en reniant le reste) et combler le vide. Les rééditions, c’est comme les lives et les b-sides, on publie ça habituellement entre deux albums pour conserver une actualité. Mais le cas de Dominique A est, lui, complément différent : la réédition de ses huit albums a précédé de seulement quelques semaines la sortie de son neuvième Vers des lueurs. Mais pour autant il ne s’agissait ni d’un simple tremplin médiatique, ni d’une manière d’arranger le passé.

Quand je parle de réarranger le passé, j’entends corriger ses erreurs de jeunesse et chercher à donner une nouvelle cohérence à l’ensemble, comme c’est le cas, par exemple, avec les rééditions de Swans. Certes, Dominique A en a profité pour faire re-masterisé ses quatre premiers albums, mais ce n’était pas son œuvre passée qu’il souhaitait améliorer, mais bien le travail que d’autres avaient fait dessus. Ce que j’aime dans ces rééditions, c’est que Dominique A assume tout, et ce sans complaisance. Ces disques, ce sont lui, et les renier, ce serait comme se renier. Alors plutôt que de cacher des trucs, au contraire il montre tout. Il ressort Le Disque Sourd et les archives, ils retrouvent de vielles démos. Non seulement il n’y aucun révisionnisme, mais surtout il y a une volonté de transparence touchante, un côté état des lieux complet de mon œuvre et donc de ma vie. Mais surtout il fait tout ça sans aucune trace d’autosatisfaction et avec la modestie qu’on lui connait. Ces rééditions ne sont pas marquées du sceau du génie autoproclamé qui pense que toutes ses compositions et le moindre mot posé sur le papier méritent une publication. Non là c’est plus une manière d’ouvrir la porte de chez lui, de montrer ce qu’il a construit et d’exhiber ses blessures. Regarder ces petits points que j’ai laissés un jour en suspension, nous dit-il. Du coup, même ses albums qu’il aime le moins (Remué) voir ceux qu’il méprise (Si je connais Harry) sont affichés sur le même plan que les autres. Il n’en est pas fier, mais ce serait malhonnête de les cacher. Et puis il est bien trop conscient de la chance qui lui est offerte – combien d’artistes peuvent un jour ressortir tous leurs disques ? – pour faire la fine bouche.

Ces rééditions, elles donnent du sens, et le sens en musique c’est souvent ce qu’il y a de plus important. Elles cimentent son travail et libèrent son esprit : publier ces rééditions, c’est comme finaliser le premier étage de sa maison ; ce n’est pas juste contempler les fondations, c’est fignoler ce qui a été accompli pour pouvoir aborder sereinement la suite. Et c’est le cœur léger que Dominique A a pu ainsi concevoir Vers les lueurs, son neuvième album officiel.

« Le cœur léger », ce n’est pas forcément la disposition dans laquelle on préfère Dominique A. On est égoïste et on aime les artistes tourmentés qui portent à notre place les troubles. Parfois j’ai l’impression qu’être torturé à notre place et l’une des missions que l’on attend le plus de l’artiste et que l’on se retrouve déçu lorsqu’il envoie chier tout ça. Du coup le premier contact avec Vers les lueurs aura été marqué par une certaine réserve. Le côté immédiat de chansons comme Close West, cette manière de s’inscrire dans une tradition du rock français très marquée par des schémas couplet-refrain-couplet-refrain, ça avait forcément un côté décevant ; d’autant plus que les riffs ici semblent parfois faciles, comme issus d’un manuel du parfait petit rockeur. Et puis surtout, il y avait les textes de certaines chansons, des paroles naïves, aux revendications un peu vaines, et qui avaient un côté trop rentre-dedans, trop premier degré (« Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté, le monde était si beau et nous l’avons gâché » répété peut-être six fois). Alors je me suis souvenu de Remué et de Comment Certains Vivent. Il y a quelques semaines, j’avais expliqué combien, lors des premières écoutes, je n’aimais pas Comment Certains Vivent, combien je le trouvais revanchard, pour finalement au fil du temps le regarder devenir l’un de mes titres préférés de Dominique A. Je me suis alors demandé s’il en serait pareil avec Rendez-nous la lumière, si je finirais par voir dans ce « nous » un discours collectif et une manière de parler de soi à travers les autres. Mais clairement rien n’est venu. Et il a fallu du coup se préparer à observer Vers les lueurs sous un angle complètement différent.

Alors oui Vers les lueurs est un album lumineux, de manière évidente et naturelle, et oui son titre veut dire exactement ce qu’il veut dire. C’est un album plus léger, moins rugueux où Dominique A pousse jusqu’au bout son idée de la pop, tout en réglant une bonne fois pour toute ses comptes avec la chanson française. Avant on disait : Ecoute ces mélodies, c’est plus intense que chez la majorité des groupes de pop alors qu’il s’agit de chansons à texte ; aujourd’hui ce serait plutôt : c’est rudement bien écrit pour un groupe de pop française. Non pas que les textes soient moins puissants qu’avant, mais juste que les mélodies sont tellement présentes et tellement accrocheuses qu’elles deviennent parfois la première chose qu’on retient d’une chanson. Ce que j’essaye de dire s’illustre bien avec la transition d’un titre comme Nanortalik à Ostinato : les deux fonctionnent de la même manière, mais alors que chez le premier la mélodie me transcendait, ici elle m’handicape.

Pour apprivoiser Vers les lueurs, il faut accepter que ce soit un album qui se fout bien de la niaiserie et des clichés. Dominique A est un quadragénaire qui subit la pression de la ville. Et ce rapport à la terre, cette envie de retrouver la nature, il a beau être caricatural, il n’en est pas moins sincère et essentiel. Du coup les questions qu’il faut se poser ne concernent pas le pourquoi du besoin du retour à la nature (que d’une certaine manière tous les citadins expérimentent un jour ou l’autre) mais les catalyseurs et les conséquences de celui-ci. D’abord il y a l’idée du repli : Dominique A a combattu la ville et il en a triomphé,  ce n’est pas un repli en forme de fuite, mais plus un repli en forme de retraite ; comme s’il en avait fini avec les conneries d’ici. Ensuite vient le rapport à son passé. A 43 ans et dans la foulée d’une rétrospective de son œuvre, on imagine bien la nostalgie qui habite Dominique A, cette conscience du temps qui passe, cette envie de retrouver l’insouciance qui nous accompagnait dans notre village natal. C’est aussi tout ça que nous dit Vers les lueurs. Mais, là encore, comme avec ses disques, le passé n’est pas mis sur un piédestal : on s’en rappelle avec la conscience des coups durs et c’est aussi une nostalgie des interrogations d’avant (le haletant Vers le bleu qui sait en quelques mots poser tout un contexte).

Sortir du cliché des grands espaces naturels, rappeler que la nature c’est avant tout un petit bout de pas grand-chose, des fleurs dans le jardin de son enfance et la luminosité qui nous frappe, à travers les branches des arbres, lors de ballades hors des sentiers battus : c’est ce projet que porte à la fois les arrangements de David Euverte – qui dirige le quatuor à vent (flûte traversière, basson, clarinette, cor anglais, hautbois, sax soprano…) – et les riffs de guitares de Thomas Poli. Entre ces deux hommes se trouve tout Vers les lueurs : l’un représente la maturité et la sérénité, l’autre dévoile l’instinct et la nécessité de laisser parler spontanément ses émotions ; le calme dans l’électricité.

Dominique A est arrivé à un stade où il peut tout se permettre : sa légitimité est acquise (confère justement la réédition des huit albums) et il n’a plus besoin de “conceptualiser” et de “complexifier” sa musique. S’il ressent quelque-chose sincèrement, il peut le cracher sur le papier, sans en questionner l’intelligence. Il a acquis cette sérénité qui permet d’être encore plus soi-même, sans détour, sans tout de passe-passe. Du coup, une fois l’album digéré,  le « Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté, le monde était si beau et nous l’avons gâché » qui pouvait paraître presque réactionnaire devient un cri du cœur touchant.

On se retrouve vraiment au milieu d’un paradoxe : Vers les lueurs est à la fois l’un des albums les plus exigeants de Dominique A (surtout au niveau des instrumentations) et en même temps il est l’un de ses plus libres. Mais le paradoxe ne vient pas de cette dichotomie, non le paradoxe vient du fait que malgré tout ça Vers les lueurs reste un album dont on se sent moins proche, quelque-chose qui rompt pour moi la perfection atteinte par l’enchainement Auguri, Tout sera comme avant, L’Horizon, La Musique. Mais, encore une fois, ce n’est pas très grave, parce que ce que Dominique A vient de montrer avec ces rééditions, c’est que la qualité intrinsèque de chaque album ne compte pas ; ce qui compte c’est le projet global, c’est le sens et l’histoire, et ça Vers les lueurs n’en manque pas. Au contraire, il occupe une place hyper logique et pertinente dans sa discographie.

La notion d’étape est importante ; avec l’idée que le voyage reste plus important que la destination. C’est une cartographie des choses qui passent et parfois des choses qui comptent. Par exemple, en mai 2011, les Editions Léo Scheer publient Un passant ordinaire de Renaud Czarnes et hop, ça devient une inspiration pour le très beau Parce que tu étais là. Les choses vont vite et Dominique A se nourrit instantanément du quotidien.  Et puis, sur la fin du disque, on retrouve son songwriting à ses plus hauts sommets avec Ce geste absent, la chanson qui, entre introspection et vérité universelle, retourne les tripes, et Le Convoi, longue histoire qui traverse, avec classe et quiétude, toute la campagne de la vie.

Lors de quelques dates, Dominique A a décidé d’interpréter sur scène en entier La fossette puis Vers les lueurs, soit son premier et son dernier disque ; il n’aurait pas pu trouver plus belle illustration de l’histoire qu’il est en train de nous raconter.

>> Références
Rien ne sera comme avant par Oslav Boum

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