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HERAKLES Tome 1 d’Edouard COUR

Par Anthony, le 18-07-2012
Littérature et BD

Si on s’en tient aux images d’Epinal et autres peintures sur poteries grecques, le héros mythologique est fatalement gaulé comme un Dieu (logique…), insensible à la peur et au doute, sûr de sa force et rompu aux missions de haute volée. Les lectures récentes des grandes épopées de la Grèce Antique ne dérogent pas à cette règle, les soldats spartes du « 300 » de Frank Miller revus par Zack Snyder en constituant le paroxysme.

S’agissant d’Hercule et de ses 12 travaux, on aura peine à considérer que les « Douze Travaux d’Astérix » de Pierre Tchernia constituent un hommage sérieux au demi-dieu grec, rejeton illégitime de Zeus, le boss de l’Olympe, et d’Alcmène, une femme de roi cocu. Ne parlons même pas du « Hercule » made in Disney, consternante variation autour du mythe. Du coup, Edouard Cour, pour son premier album de BD, reprend les choses là où elles sont, c’est-à-dire pas très loin…

Cet Héraklès, répondant dans le civil au doux prénom d’Alcide (pour le non-hellénistes, précisons que Héraklès est la dénomination grecque d’Hercule et qu’Alcide est son nom de baptême), présente toutefois un lointain cousinage avec l’obèse complice d’Astérix, le costaud Obélix. Car Héraklès est plutôt du type grassouillet, d’une force potionmagiquesque, stoïque dans l’effort surhumain. Mais la comparaison s’arrête là : Obélix est une sorte de demi-crétin là où Heraklès prend ici les traits d’une sorte de serial-killer à l’âme sombre, un ogre titanesque, un God Of War implacable et violent. Il se plonge dans l’accomplissement de ses travaux avec une détermination froide et une ironie distante. Comme un faux air de Clint Eastwood courant après un butin convoité par la brute et le truand. Sauf qu’ici, l’enjeu pour Heraklès, au bout de ses travaux, n’est rien moins que de devenir un immortel à l’égal des Dieux et de son paternel volage…

Le parti-pris Edouard Cour dans le positionnement de son personnage d’Heraklès est le point fort de cette BD, car il le situe dans un angle mort des représentations habituelles de ce personnage mythologique. Là où la fiction animée contemporaine l’a souvent dépeint comme un héros sans défauts et sans failles, à la limite de la niaiserie basse du front, la mythologie classique le place dans un entre-deux tragique – ni dieu ni homme – et décrit la lutte d’un colosse rompu aux épreuves, contraint de conquérir sa place dans un Olympe qui ne veut pas de lui. Car dans un accès de folie provoqué par Héra, jalouse épouse de Zeus, n’oublions pas que la légende raconte que c’est ce même Heraklès qui tuât sa femme Megara et ses enfants avant de se lancer à corps perdu dans ses douze travaux… En écho de ce drame, Edouard Cour empêtre son personnage,  entre deux missions accomplies, dans une errance emplie de fantômes et de mauvais génies le renvoyant à son histoire funeste. Oui, on peut dire ici que cet Héraklès est un bourrin écorché, taiseux et déterminé…

Le dessin d’Edouard Cour se marie assez naturellement avec son sujet. La filiation graphique se situe quelque part entre Christophe Blain et le Manu Larcenet de « Blast », voire de l’excellent exercice de style réalisé par Bastien Vivès et Merwan dans leur trilogie « Pour l’Empire ». Un dessin tout en hachures, vif et nerveux, mixant les rondeurs de son personnage et les angles saillants, et dont les teintes de cuivre et de bronze utilisées pour la mise en couleur renvoient invariablement aux représentations antiques traditionnelles. Les planches déployant l’accomplissement des missions d’Héraklès sont le plus souvent superbes, renforçant le sentiment de violence et de détermination qui s’empare du héros face à l’adversité inouïe qui s’oppose à lui. Avec une mention spéciale pour les double-planches consacrées à la poursuite de la biche de Cérynie, illustrant parfaitement la solitude du héros dans son épreuve et la dimension légendaire de ses prouesses.

L’Antiquité et son patrimoine mythologique est une source inépuisable de séries de bandes dessinées, représentant trop souvent des personnages sans nuances. L’Héraklès d’Edouard Cour présente l’avantage de jouer habilement sur plusieurs registres – l’héroïsme flamboyant et la fragilité humaine – en faisant preuve d’une superbe réalisation graphique, aussi bien dans les scènes d’action que dans ses moments plus introspectifs. L’auteur n’hésite pas non plus à oser l’iconoclasme de dialogues pince-sans-rire, créant un décalage contemporain dans un récit antique, apportant une incontestable fraîcheur dans cette histoire très codée.

Pour son premier album et ce tome 1 relatant les 8 premières missions d’Héraklès, Edouard Cour aura réussi le pari risqué de donner une nouvelle lecture des 12 travaux d’Hercule. C’est presque héroïque.

Héraklès Tome 1 – Edouard Cour (édition Akileos) – 154 pages