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6th Borough Project : un pas en arrière, un pas en avant

À propos de l'album Borough 2 Borough, sorti en mars 2014 chez Delusions of Grandeur.

Par Nathan Fournier, le 26-03-2014
Musique

La house music est une raffinerie. D’une matière première (ce vinyle de Stevie Wonder ou de Marvin Gaye qui trainait chez les parents), les Frankie Knuckles, Moodymann ou Theo Parrish raffinent de nouveaux disques. Ils étirent ces classiques du passé, les dissèquent et les éditent pour en faire du mixing material.

La recette ? Couper, coller, ajouter des beats et reconstruire entièrement un titre pour le faire rentrer dans le format four to the floor, 120 bpm et une puissance hypnotique et sensorielle importante. C’est l’art sacré de l’edit.

Aux origines de la house était donc l’edit, cette reconstruction des hits du passé. Le travail de (re)composition revient en fait à adapter le déjà existant, le déjà efficace pour ensuite l’intégrer dans un plus grand ensemble : le mix.

Theo Parrish l’explique parfaitement au sujet de ses Ugly Edits, ce ne sont que des collages rapides pour lui et ses amis. Autrement dit, Parrish enregistre ses edits pour pouvoir ensuite les mixer, et les retravailler derrière ses platines. Jamais ces petites perles mal foutues n’ont eu pour but d’être écouté dans un salon. Ce sont des titres pour DJ avant tout. En aucun cas un produit fini.

On l’oublie parfois, mais un disque house n’est en fait jamais vraiment un produit fini. C’est une station de correspondance, un bout de musique figé dans les sillons à l’usage des DJs. Bien sûr, la musique et ses concepts vont toujours plus loin qu’un simple beat qui fait se trémousser. Mais c’est son usage original, son but primaire.

Avec son premier long format, One Night in the Borough, 6th Borough Project avait prouvé sa maitrise des classiques et son respect des traditions les plus anciennes de la house. Ce premier long format du duo écossais était une succession d’edits plus réussis les uns que les autres. On y retrouvait un fétichisme du vinyle, un amour profond des samples de soul. One Night in the Borough transfigurait le passé et rendait hommage aux clubs New Yorkais et à la house la plus deep.

Graeme Clark et Craig Smith, le duo écossais derrière 6th Borough Project

Graeme Clark et Craig Smith, le duo écossais derrière 6th Borough Project

« How Deep ? Deep. »

Ce sont les premiers mots qui suivent l’intro de ce nouveau long format, Borough 2 Borough. Aucune surprise, la recette de leur deep-house est restée la même. Les samples et la répétition font leur effet assez rapidement. La house de ces écossais est vecteur de joie, de sourires jusqu’aux oreilles. C’est imparable comme une ligne de basse de Marvin Gaye. Et c’est là toute la beauté de cette house hypnotique, langoureuse et sensuelle.

Ce sont des titres qui attendent patiemment qu’un DJ veuille bien les mélanger, leur triturer les basses et les mediums pour qu’ils puissent se révéler au monde.

Mais là où One Night in the Borough avait le goût brut de l’edit, cette nouvelle sortie sonne beaucoup plus propre. On imaginait parfaitement les deux DJs rechercher la perle rare, le son parfait à éditer dans des bacs poussiéreux de vinyles tordus, les écouter rapidement, les tourner avec leurs ongles sales et en évaluer le potentiel.

La force et la beauté des edits du premier album viennent de leur imperfection, de cette saleté qui leur colle à la peau. Ce sont des titres qui attendent patiemment qu’un DJ veuille bien les mélanger, leur triturer les basses et les mediums pour qu’ils puissent se révéler au monde. La magie de 6th Borough Project était dans ce sentiment discret qui naissait à l’écoute d’un Iznae, ce petit « si moi aussi j’étais DJ, je passerais ça ! » qui pointait le bout de son nez entre les oreilles des auditeurs.

Borough 2 Borough est dans un sens un pas vers l’avant pour le duo. Un album plus abouti, avec une progression bien pensée, un son aussi précis que ses beats et le tout en gardant ce côté instantané et imparable. C’est peut-être aussi le pas de trop vers le format house traditionnel, une house de salon au lieu d’une house de club, sale et démente.

La question qui se cache derrière tout cela c’est : à qui doit être destinée la house ? Il ne faut pas l’oublier, la house vit avant tout pour et par le mix. C’est pourquoi les titres doivent rester ouverts, le plus loin possible d’un produit fini. Ils doivent pouvoir commencer une histoire ou la compléter, jamais la finir.

L’erreur de ce Borough 2 Borough (de très bonne facture pourtant), c’est de viser les auditeurs avant les DJs. Les edits de leurs débuts étaient le mixing material parfait. Leur nouveau format a refermé sa chemise et s’est recoiffé. Donc pour la prochaine sortie, à la question « How Deep ? », nous répondrons « deeper ».