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Découvert comme beaucoup de gens, il y a quelques années, à travers sa série Louie, je suis depuis sous le charme de Louis CK, ce vieux roux ventripotent qui mange sa slice de pizza dans la rue, un comédien au sens américain du terme — c’est à dire quelqu’un qui se produit dans un comedy club — qui s’est vite révélé incomparable avec les références que j’avais. Ce n’est pas à proprement parler quelqu’un qui exerce un œil critique et extérieur sur la société (comme peut parfois le faire Jerry Seinfeld) et sa vraie force tient au fait qu’il est ce que la société a fait de pire. À savoir un homme blanc, américain de surcroit, hétérosexuel. Le top du top sur l’échelle des valeurs sociales. En réalité, une échelle sous le niveau de la mer en ce qui concerne les valeurs tout court.

Louie devient tous les hommes.

Mais que ce soit en mode stand up ou avec Louie, Louis CK questionne de plus en plus profondément sa supériorité théorique. Et avec la saison 4 de sa série, il fait évoluer sa réflexion (et la nôtre) en prêtant son visage à sa fameuse catégorie sociale et sexuelle, pour en devenir l’étendard. Louie devient tous les hommes. Il est ce type perdu qui passe à coté de chaque conversation avec une femme et qui pense qu’elles lui veulent du mal. Il est cet homme qui force le rapport sexuel, convaincu que c’est ce que la partenaire veut au fond, bien qu’elle exprime son désaccord sur le moment. Il est ce père divorcé qui a la mauvaise foi de ne pas vouloir que sa fille pré-ado fasse les mêmes erreurs que lui au même âge, quand bien même elles seraient formatrices. En quelques heures de programme, Louis CK passe du statut de père célibataire le plus cool et le plus drôle du monde au symbole de ce qui ne va pas dans notre société. Rien de bien grave au fond. Mais une vraie détresse personnelle et une violence larvée. Les mêmes détresses et violences qui sont le terreau des vrais drames, et l’origine même de courants de pensées détestables et toxiques (le mouvement masculiniste, découverte toujours glaçante).

Chaque épisode est le théâtre d’un drame haletant

Parce qu’il n’a pas l’air d’être mieux qu’un autre, qu’il porte sur son visage ses échecs sentimentaux et sexuels, son amour de la junk food et des conversations graveleuses avec ses potes, Louis CK a embrassé ce destin. Il a créé Louie, alter égo monstrueux qui n’est rien de plus que le symptôme d’un société qui n’évolue pas (ou si peu). Et en parallèle à ce travail noble, Louis CK devient donc tout doucement le porte drapeau des pro-féministes. Un véritable grand écart schizophrénique.

Cette subtilité échappe encore à beaucoup pourtant. C’est ce qui frappe avec la série Louie. Chaque épisode de la saison 4 est le théâtre d’un drame haletant, d’une horreur ignoble ou, ça arrive, de l’histoire d’amour métaphorique la plus déchirante qu’il ait été donné de voir à la télévision (illustration ultime de l’impossibilité de communication et de l’absence d’avenir de certaines relations). Ce sont des chocs. De vrais chocs qui laissent le spectateur à fleur de peau, hors d’haleine. Mais il y en a encore beaucoup pour qui l’amour et la violence ne sont qu’anecdotiques. Pour qui une tentative de viol — le terrible épisode 10, Pamela part one —, et le terme est sciemment utilisé dans la scène, n’est pas si grave.

Le clivage entre ceux qui voient le monstre et ceux qui l’ignorent

Louis CK a fait de Louie le visage de ce que les hommes représentent et vivent de pire dans le fracas du silence quotidien. Il s’impose également comme le miroir de ses propres spectateurs. Il crée le clivage entre ceux qui voient le monstre et ceux qui l’ignorent. Il pousse le spectateur à interroger ses propres comportements en anticipant sa défense et ses arguments (comme dans la scène où Vanessa expose la situation des « fat girls »).

Pourtant, Louis CK n’a pas posé de bombes dans une école maternelle, il n’a pas dévoré de chaton. C’est juste un mec qui aime manger et qui voudrait baiser, un père un peu perdu parce que ses filles grandissent. C’est juste ça, et c’est là qu’est le problème. Non seulement, il l’expose avec finesse et simplicité, mais en plus il a l’intelligence de ne pas chercher d’excuses aux hommes. Il peut nous donner à nous apitoyer sur Louie et à compatir, mais il ne transforme jamais ce dernier en une victime dont le contexte social expliquerait tous les actes. Au final, si Louis CK nous laisse juge, il ne laisse cependant aucune place au pardon.