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Durant 8 ans (de 2002 à 2010), de leur premier album (They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top) à leur cinquième (Sisterworld), j’ai énormément cru en les Liars, groupe protéiforme et curieux, qui se faisait un devoir de ne jamais sortir deux fois de suite le même album. À la manière d’un Thom Yorke, on sentait que le trio, aujourd’hui situé à Los Angeles, avait une capacité à s’intéresser à tous les genres et à embrasser toutes les voies qui s’offraient à lui, en lorgnant avec une affection égale aussi bien du côté des musiques dansantes que des musiques expérimentales. Il y avait un truc formidable chez eux : une capacité à produire alternativement des disques sans queue ni tête et des albums fouillés, pensés, presque conceptuels.  Oui, les Liars étaient simultanément un groupe complètement barré et très sérieux. Puis, en 2012, ils ont publié WIXIW, un disque plat, sans saveur, plombé par une approche électronique très scolaire, une goûte d’eau qui a fait déborder le vase et qui m’a fait revoir toute leur discographie à la baisse.

Il faut dire que la limite entre un groupe ambitieux qui cherche à explorer le plus de voies possibles et un groupe perdu, dénué de toute vision artistique, qui bouffe à tous les râteliers est assez mince et qu’un seul pas de travers peut vous faire passer de l’autre côté de la barrière. Ainsi pour moi la chose était désormais actée : Liars n’avait plus rien à dire et allait passer des années à se chercher, sans succès, une nouvelle jeunesse. Déboussolé, le groupe allait désormais se contenter de toujours frapper là où le public l’attendrait le moins sans la moindre mise en perspective. Cela pourrait passer pour un jugement hâtif de ma part, mais on a déjà vu tellement de bons groupes ne jamais se relever après avoir trébuché…

Un septième album, Aussi excitant et frais que leur premier

Du coup, l’annonce de Mess n’a généré aucune excitation chez moi. Pourtant, dès la première écoute, il fut impossible de ne pas le trouver jouissif et apte à générer un plaisir immédiat. Dansant et pêchu, plein de refrains accrocheurs, il mélange habilement deux voix empruntées précédemment par le groupe : le parti pris électronique de WIXIW et l’appel des clubs de l’album de remix de Sisterworld. Bref, les Liars viennent de sortir leur septième album et il est aussi excitant et frais que leur premier. Mess ne fait pas dans la finesse – on est loin de l’orientation à la The Notwist du précédent –, mais dans le plaisir, au point que de temps à autre, l’air un peu coupable, on se demande si une chanson comme I’m No Gold ne joue pas sur les mêmes leviers qu’un Satisfaction de Benny Benassi.

L’écriture et l’enregistrement de WIXIW avaient demandé énormément d’efforts et d’investissements au groupe. Avant de sortir un album orienté musique électronique, il fallait d’abord apprendre à se servir de la technologie (Pro Tools et Reaktor, et un paquet de plug-ins). Sur le résultat final, on ressentait presque l’anxiété du groupe, cette peur de mal faire et de passer pour des amateurs, au point d’avoir composé leur disque avec les manuels d’utilisation des logiciels sur les genoux pour être sûrs de ne rien produire qui ne fasse pas professionnel. Cérébral et travaillé dans les moindres détails, WIXIW s’était avéré très académique et peu stimulant, soit un comble pour un groupe dont le mantra est justement de surprendre toujours son public. Il manquait d’aspérité et de prises de risques, au point de provoquer l’effet de rejet évoqué plus haut.

La pochette de Mess

La pochette de Mess

Bien qu’enregistré avec les mêmes logiciels et les mêmes synthés, Mess s’avère pourtant foncer dans la direction opposée de WIXIW. On sent bien que l’objectif principal était de se faire plaisir. Un exemple assez illustratif réside dans la manière dont a été réalisée la ligne de chant de Mask Marker, le titre qui ouvre l’album : Angus Andrew souhaitait emmener sa voix vers autre chose, la déformer, s’amuser avec. Après avoir essayé avec des applications iPhone, il se tourne vers un logiciel de modulation de voix qui est à l’essai gratuitement pendant 24 heures. Il le télécharge, l’installe, teste ses fonctionnalités, et banco trois heures plus tard la piste est enregistrée. Le groupe ne s’est pas posé de questions, il ne s’est pas interrogé sur sa légitimité, il a juste foncé dans le tas, avec l’insouciance d’un enfant qui vient d’avoir un nouveau jouet, et pour qui seule l’action de « jouer » existe, sans autre pensée.

Ce qui intéresse Angus Young dans le « mess », c’est son ambivalence

Ce qui est étrange pour un album réalisé de manière aussi spontanée et, qui plus est, qui s’appelle Mess, c’est l’organisation très rationnelle du tracklisting : une première moitié avec les titres qui bastonnent le plus, une seconde avec ceux plus down-tempo. Enfin « rationnel » ne veut pas dire qu’il y ait une vraie réflexion derrière (au contraire même) et tout cela se résume rapidement à accrocher l’auditeur dès le départ, tout en réservant les chansons plus exigeantes pour les vrais aficionados. Pour un groupe qui nous avait habitués au chaos, c’est fortement déceptif et cela nuit terriblement au disque, l’absence de montagnes russes et de changements de ton en faisant un album bien plus lisse qu’il ne l’est en réalité. Cela est d’autant plus frustrant lorsqu’on sait qu’il s’agit d’un de leurs albums les plus sombres et qu’Angus Young y parle de tout le bordel qui s’accumule dans sa tête.

La notion de bordel, le « mess » en question, s’exprime ainsi finalement plus dans les thématiques que dans la structure du disque. Ce qui intéresse Angus Young dans ce mot, c’est son ambivalence. Selon l’angle selon lequel on se place, le bordel peut-être un chose positive ou négative, et ce en particulier en matière d’art. Dommage que le point de vue s’exprime essentiellement littéralement et physiquement (confère la pochette et les opérations de street art organisées par le groupe) et non au travers de la musique. Une autre thématique forte du disque est intrinsèquement liée au bordel : celle du choix. La vie moderne offre tellement de possibilités et génère tellement de stimulus, qu’elle crée une confusion mentale difficile à canaliser.

Un exemple de la campagne de street art entourant la sortie de Mess

Un exemple de la campagne de street art entourant la sortie de Mess

Alors que WIXIW m’était apparu comme le signe incontestable du déclin du groupe, il se révèle n’avoir été qu’une étape ; une période de formation qui a permis au groupe d’acquérir de nouvelles compétences, exploitées ici avec simplicité et instinctivité. Pourtant, malgré toutes ses qualités, Mess sera probablement un album anecdotique dans la discographie des Liars. Peut-être est-il tout simplement trop évident à digérer, avec ses chansons très orientées couplets/refrains, au point qu’il se pourrait bien que dans plusieurs années WIXIW s’avère finalement le surpasser. Mais bon, comme dirait l’autre « profitons de l’instant présent » et de cette confirmation que les Liars sont toujours dans la course.

Références
Brooding in Ecstasy With Mess’s Playful Catharsis, interview par Jody Beth Rose sur Redefine mag
A Tidy Mess, interview par Matt Fink sur Under the radar
Glorious Mess: Liars Gallop Back Into Action, interview par Mike Diver sur Clash Music