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Venetian Snares : la musique totale

À propos de My Love Is A Bulldozer de Venetian Snares, sorti chez Planet Mu.

Par Nathan Fournier, le 09-07-2014
Musique

Aaron Funk est un drôle de bonhomme.

Il y a maintenant un peu plus de deux ans, à l’occasion d’un portrait d’Aaron Funk, je concluais mes divagations sur Venetian Snares ainsi :

Suivre Venetian Snares, c’est suivre les humeurs d’Aaron Funk. S’attendre au meilleur pour entendre le pire, croire au chef-d’œuvre et tomber sur des idioties. Fool the Detector, son dernier EP en date n’en est qu’une preuve de plus. Des virevoltants titres IDM s’entourent de catch-lines idiotes et sans intérêt. La seule constante chez Funk, c’est son inconstance. Une sorte d’imprévisibilité qui fait tout le charme de Venetian Snares. Aaron Funk est quelque part entre le génie et l’escroc. Un surréaliste capable du meilleur et du pire, dont le talent consiste simplement à les juxtaposer

Deux ans plus tard donc, Funk revient avec un nouvel album. Est-ce que les choses ont changé ? Est-ce qu’il fera preuve de plus de maturité ? Maintenant habitué à faire avec ces deux parties du monstre Venetian Snares, on se retrouve avec My Love Is A Bulldozer entre les mains, préparé au pire comme au meilleur.

La sortie classique d’Aaron Funk mêle toujours virtuosité, talent et humour déplacé, et tout indique que My Love Is A Bulldozer sera de ce calibre.

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My Love Is A Bulldozer, et ça se voit.

Sur la pochette, l’homme trône en centaure, torse bombé et regard dans le vide. Le titre de l’album, les paroles (avec un magnifique « Only you can make my dick feel like this ») et ce qui entoure la sortie du disque convergent. Il semble difficile de prendre au sérieux ce nouvel album.

Qu’est-ce qui rend My Love Is A Bulldozer différent alors ? Aux premières écoutes, rien. Aaron Funk continue de saborder savamment sa musique, à grands coups de phrases idiotes et de références maladroites. La virtuosité dans la construction rythmique, la production et les mélodies est toujours là. Sa maitrise absolue des breakbeats brille encore, et c’est une fois de plus le manque de sérieux qui tire l’ensemble vers le bas.

Mais… peut-être que l’on réfléchit trop.

À vouloir trouver le fil directeur et interpréter la musique de Venetian Snares, peut-être que l’on passe à côté de l’essentiel : sa sincérité sans faille. Effectivement, dans une interview donnée à Resident Advisor, Aaron Funk explique avec simplicité :

I’m never like, “Oh my God, people need to hear this.” I fucking hate releasing music.

Pourquoi ?

I don’t know. It’s mine. It’s mine. And it’s less mine when it’s out there, you know. And then I have to start thinking about things like how is it going to be received. I don’t know, it taints my feelings towards it I guess.

L’air de rien, ces deux réponses courtes sont d’une honnêteté déconcertante et brisent toutes les grilles d’analyses et les longues réflexions sur Aaron Funk en tant qu’artiste. Ce n’est sûrement pas la première fois qu’il le clame, mais à la lumière de ces déclarations, My Love Is A Bulldozer prend une nouvelle ampleur.

Le sabordage devient donc un acte de pudeur.

En fait, les albums de Venetian Snares nous arrivent seulement parce que Mike Paradinas lui force gentiment la main. Si ça ne tenait qu’à lui, il les garderait cachés dans ses disques durs. Plus que quiconque, Aaron Funk fait de la musique pour lui, et c’est tout. C’est son journal intime, où son imagination plus que fertile se lâche. Les moments de beauté absolue comme les bêtises de Venetian Snares viennent donc de ses rêves, de ses pensées bizarres, de la vie de tous les jours. Tout ce qui n’est pas la musique en elle-même est un artifice, quelque chose qui vient après, au moment de proposer le tout à une audience.

Et, parce que Funk se livre tout entier dans chacun de ses beats, il ressent peut-être le besoin de remettre une certaine distance, de dédramatiser le tout avec une bonne dose d’humour. Le sabordage devient donc un acte de pudeur, et souligne d’une certaine manière la beauté de Venetian Snares : une musique totale, à prendre ou à laisser.

Funk en action

Funk en action

My Love Is A Bulldozer est donc une boule d’honnêteté, et ses faiblesses deviennent ses forces. Suite à cette découverte, ce sont les moments les plus ridicules et clichés qui deviennent les plus beaux. Loin des déluges de violence habituels, Aaron Funk se laisse porter par de beaux sentiments, et livre tout, sans inhibition. Ce nouvel album est une déclaration d’amour et il faut prendre son titre au sens littéral. Son amour est un bulldozer, et cette force inarrêtable, prête à tout détruire sur son passage est le moteur d’Aaron Funk.

Non, Aaron Funk n’a pas changé. Il est un drôle de bonhomme. My Love Is A Bulldozer n’a en tant que tel rien de bien différent des précédentes sorties. La seule chose qui a changé, c’est qu’on y croit. Et ça fait toute la différence.

L’album est en écoute intégrale sur le site de Planet Mu Records.