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Interstellar : signes et poussière

Par Alexandre Mathis, le 11-11-2014
Cinéma et Séries
L'article ne révèle aucun point clé de l'intrigue au-delà de la première demi-heure.

« Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». La Genèse prévenait déjà du caractère éphémère du vivant. Nolan lui adjoint un cauchemar : et si la Terre était mise en danger par des tempêtes de poussière, ravageant tout sur leur passage ? Les maisons sont envahies par cette saleté – à tel point qu’il faut couvrir le broc d’eau pour le protéger –, les poumons souffrent, les cultures meurent. La Terre a une pneumonie incurable. Il faut fuir. Pour donner corps à cette apocalypse, Christopher Nolan et son nouveau chef opérateur Hoyte Van Hoytema (Morse, La Taupe, Her) utilisent de la pellicule 35mm. Pour une fois, il ne s’agit pas d’un simple fétichisme rétro, puisque le grain du support se confond avec le grain des particules de poussière. Partout elle se pose, puis se soulève. Elle s’immisce dans les pores de la peau. C’est la première fois chez Nolan que les images sont aussi évocatrices. Les champs de maïs ravagés rappellent ceux de Looper (Rian Johnson, 2012), autre film de SF où des champs entouraient une ferme, théâtre central des événements.

L’architecte sans mysticisme

Sauf que dans Interstellar, l’action se passe ailleurs. Pour sauver l’humanité, Cooper (Matthew McConaughey) doit abandonner sa famille. Il est envoyé dans l’espace par la NASA afin de trouver un nouvel astre où vivre. La partie terrestre du film bâtit avec minutie un mélo familial flamboyant, où un père doit quitter son fils et sa fille pour sauver le monde. Mais à la différence du Bruce Willis d’Armageddon, qui faisait la promesse à sa fille (déjà adulte) de revenir, Cooper/ McConaughey sent bien que sa mission sera plus aléatoire. Il ne s’agit pas simplement de détruire un astéroïde menaçant la planète, il lui faut se rendre jusqu’à Saturne, passer par la cryogénisation, affronter un trou noir et visiter l’inconnu. Cooper ne part pas dans l’espace en sauveur viril, mais en papa en larmes de ne pas être en paix avec sa fille Murph.

photo interstellar 3

Par un jeu de montage alterné, Nolan suit autant le voyage intersidéral que l’évolution de la survie sur Terre pour la famille de Cooper. C’est dans cette seconde partie que se trouvent les qualités d’Interstellar. Empli d’empathie, le film distille son énergie de l’espoir et du désespoir. Pour Murph et son frère, les mêmes questions tournent en boucle : Cooper reviendra-t-il ? Peut-on espérer longtemps un signe de là-haut ? Ce père aimant ne les aurait-il finalement pas abandonné ? Le film prend des accents lyriques très beaux. Étonnamment, le personnage de Murph ne regarde jamais vers le ciel. C’est pourtant une figure récurrente du cinéma de science-fiction. Dans Contact (Robert Zemeckis, 1997) ou Signes (M. Night Shyamalan, 2002), les personnages attendaient soit avec espoir, soit avec crainte, un signal des cieux. Même le robot WALL-E contemplait le ciel en espérant retrouver les humains. Sauf que Nolan n’est pas un mystique, malheureusement. Il s’échine à tout vouloir rationaliser, dessiner, cadrer. Il est un architecte qui observe son monde partir à vau-l’eau.

Pénible voyage céleste

Nolan a oublié la poussière des étoiles.

Film à tiroirs et à rebondissements, Interstellar est en fait un prétexte en or pour Nolan de se frotter au genre le plus référencé qui soit : l’épopée spatiale. Force est de constater que le réalisateur s’égare dans cette partie. D’abord parce que le grain de la pellicule perd tout son intérêt. Les astres n’ont aucune aspérité. Nolan a oublié la poussière des étoiles. Les plans manquent de vie, la lumière vire souvent au monochrome.

Interstellar souffre surtout de la comparaison avec le formalisme de Gravity, où Cuaron faisait du vertige un argument de mise en scène. Sa caméra flottait, suivait les dérives et les accalmies. Si le film avait un côté virevoltant, il le faisait avec souplesse. Nolan ne donne jamais corps à l’espace. Le vaisseau tourne, la caméra aussi. Ça n’est ni élégant, ni envoutant. Le cinéaste ne sait pas quoi faire de l’espace confiné du vaisseau, chose embêtante pour un architecte. Sans même lui demander d’atteindre les sommets du genre comme les vaisseaux d’Alien (Ridley Scott, 1979) ou de Battlestar Galactica, voire les sous-marins d’Abyss (James Cameron, 1989), Interstellar aurait gagné à donner corps géographiquement à ces convois de l’espace. Plus gênant encore : l’incapacité du film à donner de la consistance à des personnages importants. Anne Hathaway a un rôle central, mais aucune empathie n’est possible avec son personnage tant il semble fonctionnel.

photo interstellar 2

Le quotidien de ces astronautes n’apparaît pas suffisamment comme extrême. Seules les contorsions faciales de l’excellent McConaughey (qui apporte aussi une petite touche d’humour plus que bienvenue) rendent visibles les souffrances endurées. Là encore, une comparaison récente met à mal Interstellar. En 2009, Duncan Jones sort Moon. Il raconte le quotidien de Sam Bell, un astronaute en poste sur la Lune qui doit récupérer une matière fossile répondant à la crise énergétique de la Terre. Il est en mission pendant trois ans, seul, avec pour seul compagnon Gerty, un robot ultra-performant faisant penser à une version bienveillante de Hal dans 2001 l’Odyssée de l’espace. Duncan Jones fait ressentir le poids du quotidien, de l’ennui, de la peur de rater un bout de sa vie loin de sa famille. Sam Bell reçoit des nouvelles de sa famille par vidéo, tout comme Cooper dans Interstellar. Ici, se noue le drame familial. Il y est question de manque, de temps qui passe et de rancoeurs. Mais Nolan dilue cette belle idée dans un grand spectacle assommant. Le film n’en finit plus de jouer de rebondissements. Seulement, on ne sent ni le vertige, ni le vent, ni l’eau, ni l’urgence de la course contre la montre (un comble pour un film qui ne parle que de ça).

Il aurait fallu un Steven Spielberg – un temps attaché au projet – ou un M. Night Shyamalan pour trouver la symbiose entre grandeur céleste et intimité profonde.

Il faut attendre le bout du parcours, soit la dernière demi-heure, pour qu’épopée spatiale et mélo familial se retrouvent enfin. Alors, les idées d’architecte de Nolan trouvent un vrai souffle. Dans une scène clé qu’on ne révèlera pas, un paradoxe temporel rappelle la fin déchirante de Benjamin Button (David Fincher, 2008). Le message de Nolan, d’un humanisme teinté d’espoir et de mélancolie, rend ce dernier acte déchirant. Si la musique de Zimmer (qui pille allégrement Philip Glass et Max Richter) ainsi qu’un mixage son moins rentre-dedans avaient pu offrir un peu plus d’ambivalence à l’immensité du périple, le film aurait gagné en liant entre ses deux grands axes. Il aurait fallu un Steven Spielberg – un temps attaché au projet – ou un M. Night Shyamalan pour trouver la symbiose entre grandeur céleste et intimité profonde.