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V comme Vaselines

Par Isabelle Chelley, le 13-11-2014
Musique

En 2009, en ressortant une compilation datant de 1992, Sub Pop a donné une seconde vie aux Vaselines, groupe culte de Glasgow, exposé un peu malgré lui au grand public grâce à une paire de reprises bien senties de Nirvana dans les années 90. La nostalgie d’une pop innocente, fraîche, un peu fragile et lo-fi n’a pas eu le temps de s’installer qu’arrivait déjà Sex With An X, un nouvel album en 2010. Le titre faisait évidemment allusion à la situation de Frances McKee et Eugene Kelly, couple à l’époque de la formation des Vaselines, séparés-fâchés ensuite, devenus bons amis depuis. Si la sagesse veut qu’il n’est pas une bonne idée de remettre le couvert avec son ex, il n’en va visiblement pas de même lorsque l’envie prend de faire de la musique avec lui ou elle. La preuve avec Sex With An X, précieuse bouffée d’air frais, bijou pop auquel les critiques n’ont trouvé qu’un reproche à faire : en vingt ans, le groupe n’avait pas beaucoup évolué ou changé. Et après ? Si les Vaselines ont envie, à quarante balais passés, de composer de la pop lumineuse, un peu naïve en surface et pleine d’humour et d’acidité au fond, ça me convient très bien.

D’autant que les Écossais le font non sans maestria et que la source n’a pas l’air de se tarir, puisqu’à l’automne, ils ont remis ça, avec V For Vaselines, un album à classer sur le rayonnage réservé aux mélodistes sans esbroufe. Le temps a arrondi certains angles et policé des imperfections qu’on trouvait chez eux à leurs débuts, mais sur le fond, rien n’a bougé. Il y a toujours des harmonies à deux voix, des mélodies enlevées, simples, des structures couplets-refrains droit sorties des classiques de la pop, du Brill Building à Lee Hazlewood. Même s’il paraît que cet album a été inspiré par leur réévaluation de la discographie des Ramones, on ne sent pas vraiment la présence des punks à coupes au bol ici, si ce n’est le spectre de Joey, le fan de girl groups devant l’éternel. Comme chez Belle & Sebastian, on peut se demander parfois où s’arrête la candeur et où commence la ruse artistique – ou s’en cogner et prendre tout au premier degré, parenthèse de douceur bienvenue dans un monde de cyniques.

une complicité vocale et musicale entre les deux ex qui jouent de la situation avec légèreté

D’un bout à l’autre, V For Vaselines fonctionne en binôme, repose sur une complicité vocale et musicale entre les deux ex qui jouent de la situation avec légèreté. Au milieu de l’album, Eugene Kelly fredonne avec jubilation, “goodbye crazy lady, I’m over you” (“adieu, espèce de cinglée, c’est fini entre nous”), bientôt secondé dans les chœurs par Frances McKee. Et sur l’avant-dernier morceau, “Number One Crush”, ces deux-là chantent en chœur “being with you kills my IQ” (“être avec toi flingue mon QI”), quelques gouttes de vitriol sur un morceau de sucre qu’ils nous font gober avec le sourire.

En bonne commère du rock biberonnée de biographies officielles ou pas, je sais que le cas Vaselines n’a rien d’extraordinaire. Lorsqu’il s’agit de ranger ses disques, je pourrais, à la manière de Rob Fleming, le héros de High Fidelity, suggérer de réserver, sur ses étagères, une section pour les groupes d’ex. Avec une place de choix pour les échangistes les plus célèbres du monde, Fleetwood Mac, groupe qui a alimenté un album entier (Rumours) de ses histoires de coucheries si complexes, que pour s’y retrouver, je conseille d’avoir recours au tableau Excel. Plus récemment, on citera les White Stripes, ex-conjoints, déguisés en frère et sœur, réunis par les liens du rock binaire en duo. Ou Hole, avec, dans le rôle du Casanova de la gratte, Eric Erlandson qui a successivement eu une aventure avec Kristen Pfaff (ex-bassiste du groupe, fauchée par une overdose) et la future madame Cobain et a choisi de rester à bord, servant de souffre-douleur et de sparring partner à Courtney Love. Chez Blondie, Chris Stein et Debbie Harry ont splitté après le groupe dans les années 80, avant de se réunir professionnellement en 1997. Histoires d’ex encore du côté de No Doubt, Eurythmics, les Smashing Pumpkins, les Yeah Yeah Yeahs, etc. Sans oublier le cas de Janet Weiss, qu’on pourrait presque traiter de cumularde en la matière. Membre du groupe Quasi avec son ex-mari, elle a rejoint Sleater-Kinney en 1996, un an avant la sortie de Dig Me Out, album sur lequel figure “One More Hour”, chanson parlant de la rupture des deux fondatrices du groupe, Corin Tucker et Carrie Browstein.

Collaborent-ils sans crainte de trop se livrer parce qu’ils se connaissent intimement ?

Est-ce qu’à la base ces couples-là étaient plutôt faits pour être amis qu’amants et ont réussi à transformer une relation ratée en complicité professionnelle ? Collaborent-ils sans crainte de trop se livrer parce qu’ils se connaissent intimement ? Ou ont-ils un rapport assez libre et décomplexé pour tout se dire – et se critiquer s’il le faut – sans crainte du clash terminal qui s’est déjà produit dans le privé ? Désolée, je n’ai pas la réponse… Pas plus que je ne saurai expliquer par quel miracle les Vaselines, comme leurs compatriotes Belle & Sebastian, parviennent à l’âge de la désillusion pour la majorité des pauvres mortels, à conserver une fraîcheur adolescente sans que cela ne paraisse forcé ou ridicule. Je mettrais ça sur la magie de la pop, cette musique ayant l’étrange pouvoir, en un refrain bien troussé, de rendre souriant et sautillant le dernier des ronchon-dépressif-désabusé, même un lundi matin pluvieux.