Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

En chanson française, chanter son terroir, situer géographiquement ses chansons si elles ne se déroulent pas dans un arrondissement parisien, c’est à coup sûr passer pour un bouseux au mieux, un indépendantiste nostalgique au pire. Pourtant, ils sont quelques-uns à ramer à contre-courant (et le courant a l’air fort) mais pour un Florent Marchet traitant de Gargilesse (ou de l’hypothétique mais très rural Rio Baril), combien de Delerm en mode annuaire ? Cette dichotomie est marquée différemment aux Etats-Unis, la différentiation se faisant quasiment sur le style pratiqué (les soi-disant musiques ‘urbaines’).

On ne choisit pas ses origines, on décide simplement d’y rester, d’y puiser son inspiration et d’y situer ses histoires

Jean-Louis Murat a choisi son camp. Il a choisi les siens, ou plutôt il a choisi son lieu. Mais on ne choisit pas ses origines, on décide simplement d’y rester, d’y puiser son inspiration et d’y situer ses histoires. Sur son dernier album, appelé Babel, mais ne parlant que sa langue poétique à lui, on retrouve logiquement pléthore de références géographiques (Sancy, Chamablanc, Col de Diane, Crest) mais ce n’est aucunement nouveau. On se souvient du Col De La Croix Morand pour ne reprendre qu’un exemple.

Et quand il décide d’évoquer d’autres lieux, il se tourne plus facilement vers les grands espaces (Taïga, Le Moujik et Sa Femme) que vers les villes. Mais il n’est pas dupe non plus, ni toujours explicite. L’amusant morceau Camping à la Ferme peut aussi être vu comme une belle preuve d’ironie, cette exaltation de colonie de vacances champêtre ne devant pas obligatoirement être prise au premier degré. Son air pince-sans-rire lui permettant de placer en douce quelques douces fausses absurdités comme La Chèvre Alpestre.

Pour le reste, vous l’avez suffisamment entendu, cet album est né de la rencontre de Murat avec le Delano Orchestra, formation folk de Clermont-Ferrand (du coin, donc) qui apporte de la solidité à ce copieux album. C’est d’ailleurs le premier double album depuis bien longtemps (Lilith pour être précis) et le son est étoffé, rond, rompant avec la sécheresse de la dernière tournée. Le résultat ajoute vraiment une dynamique nouvelle, notamment par ces cuivres qui relèvent les morceaux en groove (Blues Du Cygne) ou en langueur (Frelons d’Asie).

Il faut du temps, beaucoup de temps pour faire le tour de cet album parce qu’il est fort long. C’est un album pour ceux qui ne sont pas pressés puisque les nombreux morceaux prennent souvent leurs aises. Pour le meilleur parce qu’ils finissent par percer (Neige et Pluie au Sancy) ou que leur structure répétitive met bien en évidence la densité du refrain (Dans La Direction Du Crest). Mais cette répétition peut se révéler moins passionnante (Le Jour Se Lève Sur Chamablanc, Col de Diane, Mujade Ribe) alors qu’il a déjà pu transcender des marathons (Nu Dans La Crevasse par exemple). Sa poésie peut aussi prendre un tour plus opaque tant il est difficile parfois d’en distinguer les mots (Chacun Vendrait Des Grives). Murat garde en tous cas un grand sens de la mélodie (J’ai Fréquenté La Beauté, Vallée des Merveilles) et on distingue comme souvent des échos à des morceaux d’albums précédents.

Les perceptions changent radicalement selon les fans et comme ceux de Morrissey parlent à chaque fois de ‘meilleur album depuis Vauxhall and I’, on va nous refaire tous les ans le coup du ‘meilleur depuis Mustango’. Comme au final je n’ai pas été trop client des deux derniers, celui-ci me semble marquer un retour en forme. Mais je savais qu’avec lui il suffisait d’attendre un peu, sachant que le léger changement de cap arriverait à un moment où l’autre. Une fois apprivoisé, cet album laisse l’étrange impression qu’il aurait pu faire dix titres de moins, dix titres de plus ou avoir un tout autre séquencement. La légère répétition n’engendre pas nécessairement la monotonie. Murat a le temps avec lui, sait d’où il vient, où il compte rester et comment il veut le faire.