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PS’Playlist décembre 2014 (Isabelle, Marc, Alexandre, Anthony, Alexis)

Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2014 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.

Par Collectif, le 19-12-2014

ISABELLE CHELLEY

St. Vincent – “Digital Witness”
Extrait de St. Vincent – 2014 – Rock sexy et désincarné

Amy Winehouse – “You know I’m no good”
Extrait de Back To Black – 2006 – soul torturée

Bee Gees – “New York Mining Disaster 1941”
Extrait de Bee Gees’ 1st – 1967 – Pop à voix

Pour être honnête, j’ai passé 2014 dans un semi-brouillard. Je n’en ai pas de souvenir marquant, je ne suis pas sûre d’avoir été toujours là… J’ai essayé pourtant, cru plusieurs fois revenir chez les vivants et puis je suis repartie dans mon monde parallèle, à regarder les autres à travers une vitre, à vouloir me remettre à écrire (c’est l’activité qui m’avait rendu heureuse jusque-là) et à renoncer, sous toutes sortes de prétextes creux. Je commence vaguement à émerger, mais je ne crie pas victoire. Ce n’est pas ma première éclipse, ce ne sera pas la dernière.
Cette année, celle qui m’aura le plus secouée, c’est St. Vincent. A la base, je détestais, il était interdit de passer son album précédent sur la platine en ma présence, sous peine de me voir grimacer de douleur… Et puis, n’étant pas à une contradiction près, j’en suis tombée amoureuse. Raide dingue. Fascinée par son côté artificiel et pourtant très sensuel. Elle m’évoque – attention, instant geek – un Kaminoan, ces aliens de Star Wars qui fabriquent une armée de clones pour la République Galactique. Je les ai toujours trouvés étonnamment troublants. Eh bien, St. Vincent, c’est pareil. Cette chanson-là n’est peut-être pas ma préférée de l’album, mais la vidéo décrit très bien ce drôle de mélange de chair et de robotique qui pulse au cœur de sa musique.

Comme toutes les autres années, j’ai bouffé du documentaire musical, que je préfère en général aux films, ayant l’impression qu’ils m’ouvrent des portes vers d’autres intérêts, d’autres lectures, d’autres disques. Et j’ai été remuée par ce documentaire consacré à Amy Winehouse. Je n’en attendais qu’une série de poncifs à base de talent gâché et de club des 27. Au final, ça a été tout le contraire. Un portrait intéressant et attachant, dressé par des proches, amis, collaborateurs, etc. J’ai redécouvert à quel point j’avais aimé Back to Black, avant qu’on nous matraque Rehab jusqu’à la nausée. Après des mois de désintoxication, j’ai été saisie au point de n’écouter que ce disque-là le lendemain. En cherchant, surtout, à ne pas me laisser atteindre par les textes. N’empêche… You Know I’m No Good, putain de chanson, putain de voix, et ce refrain avec ses paroles sans concession, tellement intimes et personnelles que grâce à elles, je n’ai pas besoin d’exprimer mon propre malaise. Rien que pour ça, je lève mon verre à ta mémoire, Amy.

Les vacances à Berlin, en juillet, dictées par les dates de l’exposition David Bowie Is, ont été un des rares moments où je me suis sentie vivante. Là-bas, au hasard des disquaires visités méthodiquement, je suis tombée sur Odessa des Bee Gees. On m’en avait parlé avant de partir et je n’ai pas hésité – alors que c’est un double album, cet objet qui m’invite à la méfiance en général. Pas de regret pour celui-ci, Odessa est incroyable et injustement méconnu, comme une bonne partie de l’œuvre des Bee Gees, éclipsée par leur phase disco… Pour moi, ils restent surtout les auteurs de New York Mining Disaster 1941, entendue quand j’étais adolescente, au détour d’une compilation. Je l’ai adorée d’emblée, parce que belle à tomber, noire et angoissante. Et depuis qu’une amie musicienne me l’a dédiée à son concert, elle n’en est que plus spéciale pour moi.

MARC DI ROSA

Pixies – Bagboy
Extrait de Indie Cindy – 2014 – rock

Omar S. – Romancing the Stone
Extrait de Romancing the Stone – 2014 – techno

Oasis – Supersonic
Extrait de Definitely Maybe – 1994 – britpop

« She had some beauty of manners, but she looked like a bug
Cover your breath, alter your speech
Migrations of their type are such good planners and not smug
Cover your breath, alter your speech »
(Pixies – “Bagboy”)

Ce n’est vraisemblablement pas l’album de l’année et pourtant, Indie Cindy, premier disque des Pixies depuis 23 ans, est un événement en soi. D’abord parce qu’il s’agit du premier mauvais disque des bostoniens, alors que leurs quatre longs formats précédents étaient tous brillants sinon innovants. Il permet rétrospectivement de saisir l’importance primordiale du groupe du Massachusetts dans l’histoire du rock. Il aura marqué la musique indé des années 90 avec sa formule « loud quiet loud » et influencé des formations aussi différentes que Blur, Placebo, Radiohead, Weezer et Nirvana. S’il n’avait pas longuement écouté les Pixies, Kurt Cobain n’aurait peut-être pas pensé à jouer des couplets calmes avec des sons de guitare clairs et des refrains énergiques avec des sons distordus. Sous cette perspective, Smells like Teen Spirit n’aurait jamais été composé…

Détroit n’est plus en faillite. Sur le plan financier, cela semble chose faite depuis le mois de décembre 2014 et sur le plan musical, la ville compte encore des artistes qui perpétue la tradition musicale de la « Motor City ». Le producteur de techno Omar S est l’un d’entre eux. Il entretient la flamme électronique allumée avant lui par le collectif Underground Resistance et prolonge les vibrations d’une house ou d’une techno parfois mélodique et souvent mystérieuse. C’est le cas d’un de ses titres parus en 2014, Romancing the Stone, à la production brute et minimaliste.

« I need to be myself
I can’t be no one else
I’m feeling supersonic
Give me gin and tonic »
(Oasis – “Supersonic”)

Voici vingt ans que la déferlante Oasis a envahi l’Europe, à la faveur d’un premier album qui a tout emporté sur son passage. Curieusement intitulé Definitely Maybe, ce premier disque comportaient des hymnes hédonistes et optimistes (Live Forever, Rock’n’Roll Star, Supersonic, Up in the Sky etc.), en totale rupture avec la production grunge de l’époque. Le ressort de la « britpop » d’Oasis tenait à la relation d’amour et de haine entre deux frères ennemis, Liam au timbre de voix unique et Noel à la mélodie dans la peau. Issus d’une morne banlieue de Manchester et de la classe ouvrière, la fratrie Gallagher cherchait à s’extraire de sa condition, de ses murs, de son destin tout tracé du pub à l’usine. Ils voulaient être des rock stars, vivre éternellement ; ils le dirent sans ironie, ni mièvrerie.

Liam et Noel y sont parvenus au-delà de leurs espérances. Ils ont battu leurs rivaux de Blur dans les ventes de disques, se sont mariés à des mannequins et ont dévasté des chambres d’hôtels de luxe. Ils ont fait découvrir à un jeune public français la « lad-attitude » faite d’audace et de morgue, les polos Fred Perry et le club de football de Manchester City qui végétait dans les profondeurs du classement à l’époque.

En vingt ans, tout a changé. A la suite d’une énième rixe au festival Rock en Seine, le groupe s’est séparé définitivement… peut-être. Definitely Maybe a été réédité en version remastérisée en 2014. Une faute de goût selon Liam Gallagher qui a conseillé à ses fans de ne pas l’acheter. Plus grave encore, Oasis a été exproprié de la pop actuelle par ses nouveaux propriétaires anglais. Des héritiers qui habitaient chez leurs parents dans les beaux quartiers lorsque Liam et Noel connaissaient leur premier succès. Ces jeunes gens de bonne famille ont ensuite fréquenté les écoles privées les plus réputées du Royaume-Uni et considèrent aujourd’hui les Gallagher comme des beaufs, aux idées arriérées et au langage pas assez lisse…

ALEXANDRE MATHIS

glass-animals

Jon Hopkins – “Breathe this air”
Extrait de Immunity – 2013 – Mélancolie électronique

Hector Berlioz – “La marche des pèlerins chantant la prière du soir : Allegretto”
Extrait de la symphonie Harold en Italie – 1834 – Alto haletant

Arman Méliès – “Rose poussière”
Extrait de AM IV – 2013 – Adieu aux larmes

Alors que l’année 2014 était la promesse d’un monde nouveau, elle a commencé pour moi avec une étrange goût de cendre, de mort et de brouillard. Comme si la brume d’un matin de novembre ne se dissipait pas. Dans ces cas-là, il faut s’armer de courage, retrousser ses manches, prendre son mal en patience et marcher la tête droite. J’ai eu besoin d’un compagnon de route pour ça. Jon Hopkins a signé mon hymne au courage, au titre évocateur : Breathe this air. Une grande bouffée dans les poumons, les poings serrés. C’est aussi une ode au rêve, lorsque les ténèbres assombrissent les pensées. Même seul face à son bureau, il faut redonner un sens épique à tout ça. Breathe this air aura vraiment été le morceau parfait.

Et puis, comme toujours, Terrence Malick est venu à mon secours. Cette fois-ci, pas à travers un film, mais en me penchant sur son travail puisque Terrence Malick et l’Amérique était à la fois mon premier essai et la première pierre des Éditions Playlist Society. D’un coup, je devenais l’un des rouages essentiels à un grand projet. Le brouillard se dissipe. Les manches déjà retroussées, je redécouvre à quel point je partage avec le cinéaste texan l’amour pour les grands espaces, pour l’envoutement et pour la musique romantique (Berlioz, Brahms, Dvořák, Mahler). Je saisissais enfin à quel point La marche des Pèlerins issue de Harold en Italie était pour moi, et ce depuis des années, le morceau qui me ressemblait le plus. Une lente ivresse, ténue, sans brusquer personne. Puis une invitation à la bal(l)ade ; le tout avec le sourire. Les regards se croisent, les amours se dévoilent. Et d’un coup, les cordes se crispent. La raison est perdue. On s’étreint ; un frisson parcourt l’échine. Dieu que cette musique est belle. Puis l’ange s’envole, laissant encore quelques ondées musicales vous chatouiller le bout des doigts.

Passée cette parenthèse onirique, il fallait se remettre en route. Le baluchon comme simple bagage, je partais avec la folie de ces gens qui espéraient trouver un trésor au pied des arcs-en-ciel. Et puisqu’au pied d’un arc-en-ciel, il est question de poussière et de lumière, Arman Méliès était le compagnon parfait. Celui qui fut compositeur de deux somptueuses chansons de Bashung et fut guitariste pour Julien Doré livre sur son album AM IV tout l’art de ses écrits métaphoriques et de ses sonorités rocks rétros. Rose poussière est à la fois un adieu aux larmes et un souffle d’espoir souriant. Tout ce dont j’avais besoin.

ANTHONY FORET

Bad Breeding – “Age of Nothing”
Extrait de rien pour le moment mais ça ne devrait pas tarder – 2014 – Punk-rock d’AOC anglaise

Jessica93 – “Asylum”
Extrait de Rise – 2014 – Coldwave francilienne

The Handsome Family – “Far From Any Road”
Extrait de la série True Detective – 2014 – Générique obsédant

Inventons une nouvelle unité de mesure : celle qui détermine l’intérêt musical ressenti à l’écoute de nouveautés parues dans l’année. Appelons-là « Echelle de Papetti » (du nom de ce saxophoniste italien très porté sur la musique d’ascenseur, Fausto Papetti, incarnant grâce à l’ensemble de son oeuvre l’ennui abyssal le plus pur) et définissons sur celle-ci une gradation exprimée en données numériques simples (de -20 à +20). Je vous retiens encore un peu, rapport à cette réflexion digne des plus fameuses revues scientifiques (et chez Playlist Society, on ne plaisante pas avec la rigueur…). Donc :
– 20 : nombre cumulé non exhaustif de refus d’écouter un album (exemple : “J’ai refusé plus de 20 fois de me lancer dans l’écoute du dernier album de U2 parce que non, vraiment, j’ai pas envie…”)
+ 20 : nombre cumulé non exhaustif de la quantité d’écoutes d’un album (exemple : “J’ai quand même bien fait chauffer mon walkman avec Black Celebration de Depeche Mode en 1986″)

En moyenne, cette année se situe peut-être à une moyenne de 1 ou 2 sur l’échelle de Papetti = j’ai globalement faiblement écouté l’ensemble des nouveautés qui me sont passées entre les oreilles. Nous ne sommes pas loin en 2014 de la performance déjà faible de 2013.

Et, suivant le théorème bien connu, quand l’ennui guette, la violence explose. CQFD : à mesure que l’échelle de Papetti tend vers 0, les tentations musicales tendent vers la violence. C’est exactement ce qu’il m’est arrivé… Les satisfactions de cette année vont puiser dans les bonnes vieilles recettes punk/hardcore/coldwave.

En tête d’affiche de cette année écoulée (et à venir), prix spécial pour Bad Breeding. Pas encore de disque à se mettre sous la dent, mais un teasing insoutenable à base de vidéos. « Age of Nothing » et son clip intense, mystérieux et furieux, version 2014 du Ace of Spades de Motörhead,  figure dans le plafond haut de mon Echelle de Papetti. Le titre à lui seul incarne le fil rouge de cette année : un Age du Rien, de la vacuité, illustrant cet ennui qui conduit à la violence (musicale, du moins).

Dans un registre so 80’s, Jessica93 est une découverte tardive. Chez le francilien, l’ennui s’incarne dans une ambiance musicale sortie du fond d’une cave sordide, associée à une imagerie crapoteuse urbano-glauque. On file tout droit dans les racines de la coldwave marquée à tout jamais par Pornography de The Cure, exhalant un acre parfum de violence faite à soi-même. L’absence totale de débauche de moyens est en soi un régal dans ce clip qui ne permet de s’intéresser qu’à l’essentiel : le son.

Enfin, la musique s’associe parfois de manière très adhésive à des images. En l’occurrence, il s’agit ici d’un générique (en soi, une mise en image de promesses d’images), celui de True Detective dont j’achève la découverte en ces derniers jours de décembre.  Mieux vaut tard que jamais… Ce Far from any road de The Handsome Family exerce un effet d’attente sans cesse renouvelé tout au long des 8 épisodes de cette série elle aussi violente. Une ritournelle du Sud, teintée d’americana évidente, pour une douce introduction à l’atmosphère viciée des aventures sordides de Woody Harrelson et Matthew McConaughey.

ALEXIS JOAN-GRANGÉ

glass-animals

Elliott Carter – “Catenaires”
Extrait de lui-même – 2006 – Polyphonie moderne

Chicago Underground Trio – “Green Ants”
Extrait de Boca Negra – 2010 – Jazz inertiel

Terry Riley – “1”
Extrait de Persian Surgery Dervishes – 1972 – House soufie

Achevées les 1200 pages d’Histoire de la musique occidentale de Massin, j’ai dû intérieurement rouspéter sur le fait que je n’avais, détails biographiques mis à part, rien appris sur la musique. Au fond, j’en suis reconnaissant. Aussi passionnante que soit l’histoire de la construction tonale et de ses transgressions successives, rien n’en explique l’effet. La musique – et je sens je devrais dire “l’agencement volontaire de sons” – m’est plus que jamais profondément inintelligible et étrangère, au point que la beauté que j’y trouve soit devenue le produit proportionnel de mon incompréhension. Faire de la beauté une fonction de l’altérité, cela oblige – chose assez pratique – à maintenir l’une hors de soi et hors du discours pour que l’autre émerge. De sorte que 2014 marque pour moi ce summum : je ne me suis jamais aussi bien porté, en musique, que depuis que j’ai lâché l’affaire. Playlist oblige, je vais donc en parler, et simultanément, m’efforcer de ne rien en dire.

Je serai instrumentaliste, mon rêve, à ne pas douter, serait d’intégrer l’Ensemble intercontemporain, créé en 76 par Boulez – j’élude les raisons de mon respect et la joie personnelle que m’inspire son existence. Les quatre minutes qui suivent ont été écrites par Carter pour Pierre-Laurent Aimard, qui a fait ses débuts dans l’Ensemble. Je voudrais disserter dessus je ne trouverais rien d’honnête à dire. Le morceau me paralyse, à la manière d’un égrenage de notes qui seraient autant de micro-cliffhangers, haletants et extatiques.

Parlant de fascination, il a cette espèce de drone de trompette – ou de cornet à pistons, pour ce que j’en sais – qui ouvre le superbe Boca Negra du Chicago Underground, ici sous sa forme Duo. Je viens de dire “superbe Boca Negra“, mais peut-être je me mens. Il m’arrive bien d’écouter la suite du disque, mais cette intro sonne si parfaite qu’il m’arrive surtout de m’arrêter ici. Le reste de Boca Negra est le fantasme de ce qui pourrait bien suivre ce son-là.

Pour une raison que j’ignore, j’ai mis longtemps avant de tomber sur ce Persian Surgery Dervishes de Terry Riley. Il y a quelque chose de matriciel dans cette musique. Matriciel dans l’histoire du minimalisme américain, tant ces boucles d’orgues synthétiques semblent résumer les travaux des Reich, Pärt et consorts. Mais ça joue aussi sur cette harmonisation des infrabasses (la qualité YouTube n’y rend pas hommage) sonnant comme un mantra primordial, qui, quoiqu’originaire, n’aurait jamais été audible jusqu’alors. En somme, c’est la meilleure house que j’aurai entendue cette année.