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2012 au cinéma : la renaissance d’un monde

Par Alexandre Mathis, le 21-12-2012
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Bilans cinéma' composée de 7 articles. Chaque fin d'année, Alexandre Mathis se livre à une radiographie personnelle des douze mois cinéma écoulés. Voir le sommaire de la série.

Depuis plus d’un an, le refrain tourne en boucle : « A Storm is coming », phrase entendue aussi bien dans le dernier épisode de Batman que dans l’inégalable Take Shelter. Volonté de frissons, fantasme de toujours remettre en cause ses idéaux, le cinéma en 2012, rejoint par les séries (la paranoïa dans Homeland, la guerre dans Game of Thrones qui se traduit d’ailleurs par le fameux « Winter is coming »), tourne à la maltraitance de ses idoles. James Bond et Batman en font les frais, la technique devient gimmick : trainons au plus profond des ténèbres ces figures repères. Dans Skyfall, la reine-mère du MI6 trahit ses enfants. Daniel Craig se fait vieillissant, sans arriver à tirer correctement (avec une arme mais aussi sexuellement parlant tant jamais un agent 007 n’aura aussi peu conclu au lit). Le film commence d’ailleurs par sa chute vertigineuse depuis un pont. Il est donné pour mort. Il en ressortira blessé mais grandi. Pour Batman, c’est parce qu’il sent que sa fin approche qu’il se cherche une descendance. Pendant ce temps, le monde lui fait son procès, conséquence de ses mensonges passés, comme une parabole des années Bush que les États-Unis digèrent doucement. Les vieilles gloires titubent à coups de punchlines indigestes (Expendables 2), les grands acteurs complotent en mode petits malfrats contre Gina Carano (Piégée) et il fallait bien la réunion des super-héros d’Avengers pour griser un peu un pays qui se cherche de nouveaux modèles. Les tueries sanglantes auront émaillé leur année plus que n’importe quelle autre. Obama est réélu, certes, mais ce n’est plus le héros de 2008. Aux États-Unis comme en Europe, la grisaille sociale se conjugue à la crise économique. L’horizon est moins clair.

C’est que l’apocalypse maya a offert autre chose que la simple destruction numérique de la planète façon Roland Emmerich. Le monde s’est regardé dans un miroir, contemplant sa propre déchéance. Abel Ferrara a doublement contribué à cela. Dans 4:44, dernier jour sur Terre, il estime que la fin du monde sert à peindre et faire l’amour. Mais avant de retourner à l’état de poussière, il est indispensable de dire adieu à ses proches. Et s’ils habitent loin, autant le faire par Skype. Avec Go Go Tales, film de 2006 mais sorti seulement cette année en France, Ferrara enterrait déjà un club de strip-tease, dont les créances devaient le condamner à fermer. Protagoniste de ces deux films, Willem Dafoe se sert de sa folie et de ses yeux perçants pour signifier toute l’hystérie d’un univers qui agonise. Faussement plus calme, Cosmopolis de Cronenberg liait clairement apocalypse et crise financière. Dans cette adaptation injustement incomprise du livre de Don DeLillo, le cinéaste canadien affuble le très lisse Robert Pattinson des pires maux contemporains. Le film travaille les figures évanescentes, les sujets métaphoriques, pour se poser la vraie question qui vaille pour l’occident : mérite-t-on encore de vivre quand, vautré dans notre embourgeoisement, on ne ressent plus rien ? Cosmopolis a agacé le public. Normal, il le met face à sa propre apathie. Pourtant, il est le film le plus pernicieux et le plus passionnant de l’année dans ses thématiques.

Le règne du chaos

Comment se matérialise le chaos ? En hors-champs chez Benoit Jacquot dont ses Adieux à la reine se concentre sur les turpitudes de la cour sans voir venir l’ouragan révolutionnaire. Toujours dans cette idée de confronter ses tourments et ses états d’âmes à l’environnement, Moonrise Kingdom fait exploser les cloisonnements moraux et culturels précisément en faisant se déchainer les éléments. La démarche inverse travaillait Take Shelter où la psychose de la tempête murait son protagoniste dans la folie. S’il reste et demeure le plus grand film de l’année, c’est qu’il fait le liant entre 2011, année des parents protecteurs, et 2012, année d’abandon des structures réconfortantes. Les jeunes font les cons dans Projet X, Evan Glodell brûle le monde pour une peine de cœur (Bellflower) et Jonathan Caouette montre les errances mentales de sa propre mère dans Walk Away Renée.

Mais le film le plus puissant de cet abandon, c’est bien sûr Les bêtes du sud sauvage. La brave Hushpuppy façonne un monde à son image face à l’absence d’une mère et la disparition d’un père alcoolique. Là encore, les éléments se déchainent. La fêlure de l’enfant rejoint les tourments de la planète qui lâche son ouragan sur ces pauvres gens du bayou. Autre enfant confronté à la tempête : celui de l’Odyssée de Pi. Ici, c’est le naufrage d’un bateau qui sépare l’enfant de sa famille et des animaux qui constituent son monde. Il se retrouve à errer, seul avec le tigre Richard Parker au milieu des océans. D’ailleurs, les animaux de tous genres auront souffert cette année, preuve que personne n’a été épargné : canidés étripés dans le Territoire des loups, crocodile en bassin dans Tabou, chiens pendus dans Les hauts de Hurlevents, hérissons empoisonnés dans Le Hobbit… Si le félin sur la barque de l’Odyssée de Pi n’est pas à la fête, il est aussi la majesté à sauver. Autre tigre au bout du rouleau, celui de Nouveau départ. Pendant que Matt Damon et sa famille cherchent à se reconstruire, le fauve fait comprendre que lui ne peut plus être de ce monde.

La beauté du geste avant le trépas

De la difficulté de (se) dire adieu, autre souffrance au moment de voir tout s’effondrer, le cinéma en aura eu deux options : soit le dolorisme cannois d’Amour, soit le deuil amoureux de Damsels in distress. Le plus bouleversant restera ce qu’en dit Mamoru Hosoda dans Ame & Yuki, les enfants-loups. Dans ce conte, une mère élève des enfants marginaux (car hybrides humains et loups), fait tout pour les intégrer, avant d’accepter qu’ils ne choisissent leur propre chemin. Pour Ted, peluche créée par McFarlane, grandir ne signifie pas dire adieu à son enfance, à ce qui ne devrait plus vivre en nous. Sa morale : rester un sale gosse en dépit des pressions sociales. Les espaces de vie et la recherche de la lumière auront réclamé cette année un choix social tranché : la mise en œuvre de l’euthanasie dans Amour comme seule moyen de sortir de quatre murs, la passion dévorante plutôt que la condition sociale dans Les hauts de Hurlevent et Anna Karenine – quitte à ce que ça vous coûte la vie. Tout le spleen de 2012 se synthétise en ces deux adaptations littéraires : la liberté oui, mais à quel prix.

Pour se réconforter, on se dit que vie et mort ne sont qu’un éternel recommencement. On peut survivre aux cataclysmes (« we are survivors » clame Liam Neeson dans le Territoire des loups), ou survivre à travers la mémoire (le retour au paradis dans Tabou par le biais du récit vaporeux de l’ancien amant d’Aurora). Mais le plus probant est encore de croire à la mémoire imprimée dans le cinéma. Coppola ne cesse de rajeunir et ressuscite son fils mort en parlant de lui dans Twixt. Daniel Craig fait ressurgir les fantômes du passé dans Millenium. David Fincher en profite pour offrir un peu de vie sociale à son héroïne Lisbeth/Rooney Mara pour mieux ensuite montrer sa solitude. Ce n’est pas une démarche très charitable mais il aura fait renaitre un temps la femme qui sommeillait malgré le tumulte des souffrances. Pour finir, comment ne pas mentionner la vraie renaissance de 2012 : celle de Leos Carax. Son ode au 7e art aura grandement contribué à saisir toute la puissance que peut avoir une résurrection. La figure polymorphe de Denis Lavant suggère l’éternelle boucle de la vie. Et son hymne « Revivre » de Gérard Manset qui dit bien que nous tenons face à l’apocalypse. Holy Motors, symbole d’espoir en 2012. Nous serons là pour vibrer en 2013.