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2012 vu par Laetitia Sadier

Par Laetitia Sadier, le 11-01-2013
Arts
Cet article fait partie de la série '2012 vu par...' composée de 5 articles. Dans l'optique de faire un point d'étape avant de passer à la suite, Playlist Society invite, tout au long de sa série '2012 vu par...', des personnalités (écrivains, musiciens, réalisateurs...) à évoquer leur année 2012 Voir le sommaire de la série.

Introduction d’Arbobo : Laetitia Sadier a toujours eu un problème avec les frontières. D’abord entre elle et l’intervieweur un peu fan à qui elle colle une bise franche et à qui elle accorde, d’année en année, une puis deux, puis trois entretiens, avec une amitié fidèle. Dans Stereolab, dans son groupe Monade au long de 3 albums, puis maintenant sous son nom, elle a aussi refusé la frontière supposée séparer l’artiste de la citoyenne. Une citoyenne et une artiste qui nous enseignent à conserver le sens du refus.

Barre

2012 m’a donné de bonnes occasions de voir, d’entendre, de faire l’expérience et de participer à des évènements culturels particulièrement intéressants et nourrissants. Ça a été une année riche et intense où l’art a rempli son rôle annonciateur, pionnier, critique, créateur et révélateur de beauté, de profondeur, contestataire, rassembleur, parfois même professeur… et j’en passe des rôles!

Une expo dans une galerie privée de Londres a retenu mon attention. Il s’agit des nouvelles peintures de Luc Tuymans, artiste belge renommé. Je me trouve étrangement attirée par son travail ; il traite de la mémoire il me semble et la manière possiblement pervertie dont on se souvient – ou pas – de la nature et des causes d’évènements, historiques ou personnels ; il se penche sur le fait que l’on puisse si facilement (?) passer outre le colonialisme, être plus ou moins aveugle aux effets désastreux de celui-ci. Il joint la mémoire individuelle et collective à des évènements politiques qui nous ont façonnés… Il s’est aussi intéressé aux génocides, notamment celui de l’Holocauste… Ce qui m’entraîne à parler ici de l’exposition qui m’a le plus marquée cette année.

Une exposition permanente au Imperial War Museum de Londres, retrace méticuleusement l’arrivée d’Adolf Hitler et ses acolytes nazis au pouvoir et de la mise en place d’un système de répression contres les juifs ; très tôt et avec le recul on se rend compte de l’horreur implacable de toutes ces interdictions à l’encontre du peuple juif, coordonnée grâce à une propagande utilisée à grande échelle. Très finement mais tout aussi implacablement l’exposition révèle chaque étape de cette aventure ultra mortifère au travers de témoignages de gens qui ont survécu à ce désastre, au travers de photos, speechs audio de l’époque, documents, textes, films – de l’horreur de la déchéance humaine du ghetto de Varsovie notamment -, maquettes des camps et élaboration du système des chambres à gaz…

Rien ou peu il semble ne nous est épargné pour nous mettre en face de cette réalité là : nous sommes tous plus ou moins au courant de ce qui s’est passé, mais jusqu’ici j’avais énormément de mal et refusais même d’imaginer les détails de cette organisation sinistre qui visait à exterminer une quantité inimaginable de personnes. Je pense qu’il me fallait être prête à être en face d’une telle réalité.

Mon fils, mon compagnon et moi même y sommes retournés 3 dimanches de suite, parce que tout d’abord cette exposition est très longue, et chaque dimanche, nous n’arrivions pas à venir à bout de cette exposition avant d’être mis à la porte du musée; pourtant les dimanches suivants nous revenions pour continuer à nous mettre en face, continuer à comprendre, continuer à grandir, continuer à apprendre ce qu’il ne faut pas faire. Evidemment on sait ce qu’il ne faut pas faire, mais en tant qu’humain il y a peut être encore une tentation de dominer, assujettir et disposer d’autrui complètement, intégralement? Je reconnais bien cette tentation dans les forces capitalistes, qui cherchent à déshumaniser, atomiser pour mieux exploiter. Qui cherchent à éteindre tout sens critique, toute lumière d’intelligence pour mieux vendre à la masse.

Mais je sais que l’histoire ne se répète pas. Nous sommes là pour apprendre n’est ce pas ?

Aussi, cette exposition me fait réfléchir à nos propres leaders qui invoquent des idées simplistes qui laissent entendre que certains boucs émissaires sont à blâmer d’une partie du chaos économique et social dans lequel nous traînons notre vieux matérialisme… A nos leader d’extrême droite je pense, qui ont fait un joli score aux dernières élections présidentielles ; le double des résultats de l’extrême gauche ! Cela peut sembler inquiétant, car le climat ambiant est clément à la propagation d’idées toutes faites et à l’organisation répressive de la société pour prévenir ce chaos. Il y a un parallèle historique qui est tentant de faire… J’ai peur. Je tremble…

Mais je sais que l’histoire ne se répète pas. Nous sommes là pour apprendre n’est ce pas ? Pour grandir. Après avoir vu cette exposition un sentiment, un instinct s’impose à moi: nous avons appris cette leçon là, nous n’y reviendrons pas. La route de l’apprentissage est encore longue et riche, mais nous pouvons bâtir sur ce bout d’évolution là. Je reprends confiance en nous.

Nous façonnons la route, et elle nous guide.