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[Cultissimes Oubliés #50] Trop Tard – Photodrame

Par Ulrich, le 28-01-2013
Musique
Cet article fait partie de la série 'Les Cultissimes Oubliés' composée de 3 articles. Des albums cultes et oubliés déterrés par Ulrich Voir le sommaire de la série.

France, terre des impossibles.

Ce que j’écris présentement me plonge dans un état délicieusement mélancolique. En écoutant Trop Tard, j’ai le coeur plein de neige qui attend le premier rayon de soleil pour fondre lentement mais sûrement. J’ai des paysages de montagne qui se bousculent dans mon esprit, je me prends à rêver d’edelweiss accrochée au revers du veston, je gambade, j’ai 15 ans et je respire cet air de montagne à plein poumon. Jusqu’au trou noir.

Trop Tard.

Je ne sais rien de ce groupe, je l’ai découvert l’année dernière en septembre, quand le label Sacred Bones eut la bonne idée de rééditer leurs deux albums. On connait la qualité du label new-yorkais, maison de Moon Duo et Zola Jesus, entre autres. Sa réédition d’un obscur groupe français m’a donc attiré l’oeil et l’oreille. Les quelques morceaux diffusés sur le compte Soundcloud du label achevèrent de me convaincre, je commandais les deux albums, persuadé de découvrir quelques petites pépites oubliées.

Nul besoin de se cacher derrière son petit doigt pour définir la musique de Trop Tard. Dès les premières notes, l’ambiance vous attrape à la gorge et on devine sans peine que certaines contrées du Nord de l’Angleterre ont durablement marqué l’esprit sémillant de nos jeunes français. Nous sommes en plein milieu des années 80, la Cold Wave – ce mouvement franco-belge qui ne voulait pas se donner le nom de post-punk – battait son plein dans l’underground parisien. C’était le temps où nos mines grises n’avait rien envié aux vraies gueules noires. Le ton grisâtre de nos mélancolies post-adolescentes battait le pavé parisien. Nos musiques se détournaient ostensiblement de la production nationale. Nos dieux habitaient Manchester, Sheffield ou East Kilbride… Dans le lot, Londres faisait figure de ville exotique. Alors que dire de la France et de ses sous-productions ? Les groupes français de la mouvance Cold Wave étaient pour la plupart risibles pour ne pas dire franchement ridicules. Ces jeunes gens mödernes séduisaient peu car n’étaient que des succédanés. Avec le temps, ces errances maladroites ont trouvé un public et une base de fans assez déterminés à faire valoir la qualité de ces artistes.

Quel intérêt de sortir de la naphtaline un groupe comme Trop Tard dont il ne reste que quelques traces éparses dans une partie de la mémoire collective, 25 ans après ? Un groupe qui ne figure même pas sur la compilation Des jeunes gens mödernes et qui pourtant n’aurait pas dépareillé… Ça nous aurait évité le morceau anecdotique de Guerre Froide par exemple ou tous ces groupes s’exprimant dans un mauvais franglais. L’écoute à la suite  des deux albums de Trop Tard nous réconcilie avec une certaine idée du romantisme à la française. Et même si la filiation est par trop évidente et parfois pesante, le chant lugubre et mi-parlé de Fabien, guitariste aussi du groupe, marquait un territoire aux contours flous. “Pourquoi ignorer qui nous sommes ?” pose-t-il comme question dès l’entame du premier morceau de Photodrame “Les choses qu’on n’oublie pas” : ce spleen lancinant, le style batcave, cette boîte à rythme, cette basse qui a mal vieilli… Tout est là pour que je jette le tout par la fenêtre. Pourtant la nostalgie est une vieille garce qui se rappelle à vous au moment le plus inopportun et il y a suffisamment de matière dans ce disque pour l’écouter une fois, deux fois… plusieurs fois.

Trop Tard n’aura pas survécu aux années 80. Deux albums et le décès de leur chanteur auront eu raison du groupe. Mais le plus cruel pour un groupe qui aura eu quand même son petit quart d’heure de gloire, c’est lorsqu’on l’oublie totalement. C’est pire qu’une petite mort. J’aurais aimé connaître Trop Tard en 1987, j’aurais souhaité voir leur évolution, savoir s’ils se seraient débarrassés de leurs influences envahissantes et s’ils auraient trouvé leur La personnel dans le concert d’une Cold Wave parfois trop prétentieuse pour ce qu’elle fut in fine. Oubliés à Paris, oubliés en France, par quel cheminement étrange leurs albums ont-ils traversé l’Atlantique pour se retrouver sur le bureau du label new-yorkais ? L’histoire est certainement belle, mais la connaîtrons-nous un jour ?