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Sub Pop #2 : Label prescripteur

Par Benjamin Fogel, le 16-07-2013
Musique
Cet article fait partie de la série 'Sub Pop' composée de 6 articles. Une série de Playlist Society sur Sub Pop à l'occasion des 25 ans du label. Voir le sommaire de la série.

Adolescent, ma vie musicale a été un entonnoir : au départ, je n’écoutais que des chansons (celles issues de bandes originales, souvent en provenance des premiers films de Tarantino), puis j’ai écouté des groupes en général, puis j’ai écouté un style en particulier (du grunge), puis j’ai écouté Sub Pop. Sub Pop, le label de Seattle qui fête aujourd’hui ses 25 ans, ce label, dont comme le nom le laissait supposer était un style musical à part entière.

Sub Pop a lancé le mouvement grunge : aujourd’hui c’est à la fois un détail et une évidence, mais à l’époque c’était quelque-chose qui semblait nouveau et qui exprimait avec le son des sentiments qu’un bon paquet de kids n’arrivaient pas à exprimer avec les mots. Tout a commencé avec l’EP Dry as a Bone de Green River publié en 1986 par Sub Pop, l’année même de la création du label. Cet album où officiait déjà Mark Arm (futur leader de Mudhoney), et Jeff Ament et Stone Gossard (futurs bassiste et guitariste de Pearl Jam) annonçait déjà les trois titres qui seraient le ciment de l’histoire de Sub Pop : Hunted Down de Soundgarden, Touch Me I’m Sick de Mudhoney et Love Buzz de Nirvana. Ainsi, fin des années 80, allaient fusionner une ville, un style et un label : Seattle, le Grunge et Sub Pop. Et tout ça provenait d’un label indépendant qui avait été monté par un passionné (Bruce Pavitt) comme une extension du fanzine qu’il avait créé (Subterranean Pop), un label qui sortait des compiles, un label qui proposait une souscription mensuelle pour recevoir les singles, et surtout un label qui voulait être plus qu’un label, qui voulait être une marque de fabrique, un sceau de qualité, et qui communiquait comme tel, en mettant tout autant en avant le nom de Sub Pop que celui des groupes concernés.

Ça peut paraître idiot aujourd’hui, mais à l’époque, je ne m’étais jamais posé la question de l’importance du label. Pour moi un label, c’était juste des gens qui flairaient les bons coups, qui mettaient un chèque sur la table, et qui s’occupaient de tout ce que les groupes n’avaient pas envie de s’occuper. C’était juste du support : un échafaudage qu’on retirait une fois l’édifice construit. Mais avec Sub Pop, tout cela changea. Rapidement, on n’avait plus envie de dire « j’écoute du grunge » (tout le monde écoutait alors du grunge), mais « j’écoute du Sub Pop ». Il y avait une identité forte, probablement liée à la production de Jack Endino qui était aux manettes sur la plupart des albums. Tout était enregistré rapidement, presque à l’arrache, avec un son rêche qui collait magnifiquement au style, comme s’il s’agissait de hard rock lofi. Et alors, chaque sortie de Sub Pop devenait un événement, l’impression qu’on allait forcément tomber sur un truc qui allait arracher, parce que c’était Sub Pop, parce que les mecs n’auraient pas signé un groupe qui ne défonce pas tout ; même si dans les faits, ce n’était rétrospectivement pas tout le temps le cas. Peu importe que les groupes quittent ensuite Sub Pop pour de plus gros labels. Au contraire même ! Sub Pop était devenu une rampe de lancement, un filtre qualitatif qui te disait quoi acheter, au même titre que les magazines de zik de l’époque.

C’était une période où je croyais qu’on était défini par la musique qu’on écoutait, et j’avais besoin de mettre les choses dans des cases pour mieux m’auto-catégoriser (l’adolescence, tout ça…). Du coup, j’étais presque déçu lorsque je tombais amoureux d’un groupe qui n’était pas signé sur Sub Pop, ou qui n’y avait pas a minima sorti un EP ou un album. J’aurais adoré voir Pearl Jam, Alice in Chains et Mad Season faire un passage chez Sub Pop. Et j’aurais encore plus aimé voir ce qu’aurait donné un album comme Vitalogy de Pearl Jam s’il avait été produit par Jack Endino en lieu et place de Brendan O’Brien.

Bien sûr, les choses ont évolué différemment par la suite, et je n’ai plus suivi Sub Pop comme avant. La cassure est surement arrivée en 2001 avec Inverted World de The Shins, et pas mal d’autres groupes signés dans la foulée (en vrac, et de mémoire, Fleet Foxes, Band of Horses, Iron and Wine et The Postal Service), avec lesquels je n’ai jamais réussi à créer un lien. Sub Pop a cherché à définir l’indie rock d’aujourd’hui en prenant le contre-pied total du grunge, et en proposant une musique plus mélancolique, plus pure, qui ne s’oppose à rien, et bien que ce repositionnement ait sûrement été pertinent, il m’a souvent laissé sur le côté.

Mais peu importe. Aujourd’hui, ce que je garde à l’esprit, c’est que Sub Pop aura appris à tous les kids de ma génération ce que c’était d’avoir un positionnement et une identité. Ca a fait naitre chez moi l’idée qu’un label pouvait être le meilleur des prescripteurs – à la fois juge et partie. Et, sans Bruce Pavitt et Jonathan Poneman, rien n’aurait été pareil pour moi.