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Sub Pop #1 : Une histoire transgénérationnelle

Par Ulrich, le 15-07-2013
Musique
Cet article fait partie de la série 'Sub Pop' composée de 6 articles. Une série de Playlist Society sur Sub Pop à l'occasion des 25 ans du label. Voir le sommaire de la série.

Ce 13 juillet 2013, j’ai emmené pour la première mon fils aîné à un concert ou plutôt à une après-midi de concerts. Ce samedi, il aura découvert successivement sur scène Shearwater, King Tuff, Pissed Jeans, METZ, J Mascis, Mudhoney et Built To Spill. Ce fut notre moment à nous, un de ces merveilleux moments où un fils curieux, depuis qu’il est en âge de marcher, écoute quasi-religieusement son père lorsque celui-ci lui parle de musique.  Au courant depuis le début de l’année que Sub Pop fêterait son jubilé en juillet, mon petit bonhomme de 9 ans me fit promettre de l’emmener en concert, voir ces groupes et artistes qui nous ont embarqué, à un moment de notre vie, dans une assez incroyable histoire musicale. Ce fut notre moment à nous, un vrai instant de partage. Curieux comme il est, il me posa plein de questions sur les groupes qui passaient sur scène. Juché la plupart du temps sur mes épaules, il me fit souvent rire avec ses commentaires sur le jeu des batteurs, critiquant leur position sur la batterie et leurs gestes peu académiques à ses yeux. Il faut savoir qu’il étudie et joue de la batterie depuis presque 3 ans et s’est mis dernièrement au piano. Mais il se tut lorsque J Mascis commença son set, s’exclama d’émerveillement durant la prestation de Mudhoney et s’enthousiasma sur certains morceaux de Built To Spill.

Ça fait à peine 1h. que nous sommes rentrés et j’ai eu du mal à le coucher, excité qu’il était par sa journée. Il voulait s’installer au grenier, sortir tous les disques du label que j’avais pour les écouter. Encore et encore. J’ai dû hausser légèrement la voix pour qu’il accepte de reporter ça à demain, une fois qu’il serait bien reposé. J’imagine déjà quelle sera son attitude demain : il sera en mode moulin à paroles – lui si calme d’habitude – racontant sa journée à sa mère, décidera de faire l’éducation musicale de ses frères et sœur en les embarquant tous dans le grenier et finira au sous-sol pour taper comme une brute sur ses fûts. Epuisé, il se couchera enfin assez tôt, avec des images et du son plein la tête.

En à peine 24h, Sub Pop sera pleinement entré dans la vie de mon fils. Comme le label entra dans la mienne 23 ans plus tôt.

Sub Pop. Seattle. Se bâtir une histoire et une légende en si peu de temps, beaucoup de labels en rêveraient. Perdurer coûte que coûte, quitte à changer de fusil d’épaule, peu de labels auraient eu aussi ce courage. La force de Sub Pop est d’avoir su créer une histoire transgénérationnelle en signant des groupes et des artistes qui parlent à chaque génération.  Que vous ayez aujourd’hui 20 ou 30 ans, un disque récent du label vous a forcément touché et marqué, comme nous qui en avons 40 ou 50 aujourd’hui. A vous Fleet Foxes, Foals, The Postal Service, Beach House ; A nous Nirvana, Mudhoney, Sebadoh, Sleater-Kinney, Soundgarden, Sunny Day Real Estate, Screaming Trees et Codeine… Tout ça en 25 ans. Tous, nous avons, à un moment donné, tissé une histoire avec Sub Pop.

La mienne commence en 1990, à Seattle même. Ça faisait 5 ans que je n’avais pas mis les pieds dans la ville. La scène musicale de Seattle ne m’intéressait guère à cette époque. A vrai dire, je ne savais même pas qu’il en existait une. Pour moi, le seul acte musical notable de la ville était d’avoir vu naître Jimi Hendrix. Mais en y réfléchissant bien, la naissance du label Sub Pop entre ses murs est en soi logique. Sous ses dehors de ville campagnarde, il y a toujours eu de l’électricité dans l’air ici. Il suffit d’une seule étincelle pour que tout s’embrase en un clin d’oeil. Il en est de même avec la musique. Jimi Hendrix alluma une mèche qui ne s’éteignit jamais.

Ma chambre était celle qu’occupe aujourd’hui mon fils cadet, je venais de m’engueuler encore fortement avec mon père. Ces retrouvailles en famille commençaient plutôt mal. Pour ne pas avoir à les entendre, je mis à fond un disque que j’avais acheté quelques heures auparavant. C’était un split de Sonic Youth avec en face B un groupe que je ne connaissais pas, Mudhoney, distribué par un label que je ne connaissais pas Sub Pop. Ce 45 tours m’avait coûté à l’époque moins d’un dollar, il était dans un bac à soldes d’un des disquaires du Downtown. Je l’avais acheté pour Sonic Youth, bien entendu.

Touch Me I’m Sick / HalloweenSonic Youth reprend un morceau de Mudhoney et ces derniers reprennent un titre des premiers. Je l’appris bien plus tard lorsque je déboulai chez le disquaire lui demandant qui était ce groupe.

Touch Me I’m Sick. Le premier hymne officiel du Grunge, en 1988. Touch Me I’m Sick que nous avons tous repris en chœur hier soir, avec mon fils sur les épaules.

Touch Me I’m Sick. Sub Pop. Ce son rêche, bien rentre-dedans, annonçait des jours heureux pour tout l’underground américain.

Lorsque le disquaire me sortit plusieurs disques de Mudhoney, il me conseilla d’autres artistes du label. Il me mit ainsi entre les mains Soundgarden, le premier LP de Nirvana, quelques disques de Tad, celui  de Codeine et la dernière signature du label, L7. Mes nouvelles pépites sous le bras, ces vacances allaient pouvoir commencer sous de meilleurs auspices. Mais le disquaire ne fut pas le seul à me faire découvrir le nouveau son de Seattle. En 2 ans, le label fondé par Bruce Pavitt et Jonathan Poneman s’était déjà introduit dans les chambres des ados de Seattle. Je m’en suis rendu compte en allant chez mes amis, ils écoutaient tous un groupe du label. Pas tous. L’un écoutait plutôt Mudhoney et l’autre était apparemment tombé dans la marmite de Tad. Ils connaissaient assez mal Soundgarden et Nirvana. Je me rappelle même que l’un d’entre eux les traita de “jerks”, ce qui pour Soundgarden se révéla par la suite assez juste.

Tout ça se passait en août 1990. Nous étions loin d’imaginer qu’un an plus tard, Seattle allait devenir le centre musical du monde occidental et Sup Pop, son porte-étendard. Nous étions aussi loin d’imaginer que nous nous retrouverions tous hier soir à fêter le label 23 ans plus tard, cheveux grisonnants, avec femmes et enfants. Même si pour la plupart d’entre nous, le virage pris par Sub Pop, au début des années 2000, nous ne plaît guère, nous avions le coeur à fêter le groupe phare de Sub Pop : Mudhoney.

Oui, nous n’aimions pas le virage pris par le label de notre coeur. Certes, tous les groupes lancés par le label le quittèrent pour signer chez les majors. Et en 1995, la maison de disques n’aurait pu survivre sans l’apport d’argent frais.

Lorsque Sub Pop fut racheté en 1995 par Warner Bros, nous fîmes la moue, car ce deal signait la fin de l’indépendance du label.

Lorsque Bruce Pavitt claqua la porte en 1996, nous fîmes clairement la gueule.

Et il y eut un trou noir de quatre ans. Quatre années de désert musical, avec Ponneman au commande. Quatre années de no man’s land musical, où surnageaient avec difficulté Mark Lanegan et Sunny Day Real Estate.

Lorsque Sub Pop commença à distribuer Saint Etienne et à signer Damien Jurado, nous nous sommes regardés avec étonnement.

Lorsque The Shins signèrent en 2000 sur le label, nous regardions déjà ailleurs.

Lorsque The Postal Service sortit Give Up en 2003, le divorce était depuis longtemps consommé.

Tous ces groupes étaient à nos yeux loin de l’esprit originel de Sub Pop. Il n’y avait rien de commun entre l’humour noir dévastateur de Touch Me I’m Sick et la bluette dégoulinante Such Great Heighs.

Rétrospectivement, ces virages commerciaux sauvèrent le label. Que serait devenu le catalogue des premières années, si Warner Bros n’avait pas mis son grain de sel dans l’aventure ? Une partie de l’ADN de Seattle se serait évanouie et ils nous resteraient nos souvenirs de vieux combattants et quelques disques qui traînent au fond des bacs pour nous remémorer le fameux son de Seattle.

Sub Pop a tourné une page de son histoire au début des années 2000 pour en écrire une nouvelle avec une autre génération. Dans quinze ans, nous nous retrouverons peut-être pour fêter les 40 ans du label. Mes fils et ma fille seront devenus des jeunes adultes ; il est probable que trois d’entre eux lèveront les yeux au plafond si je leur proposais d’aller voir les concerts ; mon fils aîné, lui, sourira peut-être, se rappelant des moments que nous avons passés ensemble tout à l’heure. Il pourra me lancer alors en riant “Smells Like Teen Spirit, dad”.