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Sub Pop #5 : 200 grammes

Par Olivier Ravard, le 19-07-2013
Musique
Cet article fait partie de la série 'Sub Pop' composée de 6 articles. Une série de Playlist Society sur Sub Pop à l'occasion des 25 ans du label. Voir le sommaire de la série.

Le T-shirt constitue probablement la pièce vestimentaire la plus triviale au monde si l’on excepte le slip.

Il est pourtant envisageable de porter un attachement proche de l’absolu à un T-shirt. Les apparences, parfois, sont trompeuses : sous l’aspect trivial du tissu ordinaire, certains T-shirts cachent une personnalité toute autre. Ces T-shirts s’élèvent au delà de leur condition de pièce vestimentaire de fond de garde robe pour accéder au statut  de tatouage en coton, lavable en machine, 40° et à l’envers.

A l’instar du tatouage, le T-shirt délivre un message fort sur son porteur. S’il peut être admis que la forme du T-shirt, toute entière résumée dans son nom, ne présente à peu près aucun intérêt sinon celui de la praticité, sa simplicité  en fait un support de choix pour afficher à la face du monde à peu près ce que vous voulez : votre passion pour les golden retrievers n’aura de secret pour personne si vous arborez avec fierté un T-shirt portant l’inscription “JE COEUR LES GOLDEN RETRIEVERS” associée à une jolie photo portrait couleurs du golden retriever de votre choix (c’est un exemple).

Donc le T-shirt est un tatouage textile d’environ 200 grammes, vous voyez l’idée.

Certes, le tatouage est permanent, alors que le T-shirt non, sauf cas d’attachement vestimentaire extrême entre le porteur et le T-shirt, qui vaudra au T-shirt l’aimable qualificatif de “seconde peau”, et à son porteur un jugement moins aimable portant sur son hygiène douteuse et/ou son obsession pour le sujet du T-shirt qu’il refuse obstinément de quitter.

MAIS ÇA N’EST PAS LE PROPOS.

Le T-shirt est un support tellement puissant qu’il est devenu, au fil des années, un formidable marqueur identitaire et/ou statutaire pour tous ceux qui ont décidé, un jour ou l’autre, de crier un truc  à la face du monde tout en fermant leur gueule, ce qui n’est pas simple. Il n’est pas question ici du tout venant, du T-shirt différencié de masse façon Gap. Il est question de ce T-shirt que vous êtes l’un des rares à porter (à l’échelle de la population mondiale s’entend), celui qui fait votre fierté. Légitime, forcément. Celui qui vous vaut, selon les cas, regards envieux et sourires entendus ou coups d’oeil torves et reniflements de mépris.

Ce T shirt là.

Le T-shirt profession de foi.

Celui qui vous définit en 200 grammes de coton.

Il y a un quart de siècle environ, un T-shirt Sub Pop était de ceux là. Un T-shirt noir, orné du minimaliste et fameux logo, résumant en lettres majuscules la revanche potentielle du traîne Converse sur le jeune con en loden et mocassins à glands. Le message était celui-ci :

 “Tu me prends pour un loser, jeune con en loden et mocassins à glands, mais sache que je t’emmerde et te propose d’aller te faire foutre car tu ne m’arriveras jamais à la cheville. Pourquoi ? CAR JE PORTE UN T-SHIRT SUB POP, BOUGRE D’IMBÉCILE IMBU. (rire sardonique) ” 

Les apparences, parfois, sont trompeuses : un T-shirt Sub Pop n’était pas un T-shirt, mais une armure pouvant sauver une vie.

< mode ancien combattant ON>

Nous parlons ici d’une époque pré Nevermind. L’époque du Sub Pop Singles Club, l’époque de Touch Me I’m Sickl’époque de Mudhoney, Tad, L7, Afghan Whigs et tout ça Et Nirvana, évidemment, mais Nirvana était une fabuleuse pépite parmi les autres, pas encore cet impensable séisme qui apporta la revanche définitive et sans appel aux traîne Converse tout en les dépossédant au passage et à jamais de leur précieux secret jalousement gardé : Sub Pop.

< mode ancien combattant OFF>

Sub Pop : rares sont les labels à avoir aussi bien mérité le nom de “label”. Sub Pop ou le savant mélange de l’avant garde arty et du brut de décoffrage vaguement crado.

Le son de la Big Muff d’Electro Harmonix devenu label.

Un salvateur miracle.

J’écris “salvateur miracle” en écoutant le “God’s Balls” de TAD. Un truc sorti en 1989 sur Sub Pop. Tad Doyle était gros, moche et pratiquait avec une rare violence doublée d’un bel entrain pour un homme de cette corpulence (Tad Doyle était obèse, vraiment) une sorte de mixture de metal, de punk et de bruit. Je ne sais pas si les membres de TAD étaient de réels bucherons imbibés de Jack Daniel’s ou s’ils en avaient seulement l’air, mais ces gens là ont écrit une bonne partie de la bande-son de mon règlement de compte silencieux avec les lodens / mocassins.

Le T-shirt Sub Pop était l’instrument dérisoire et redoutable d’un affrontement muet avec le reste du monde, dont son porteur sortait vainqueur.

Où est mon T-shirt Sub Pop aujourd’hui ?

Je suppose que ma mère l’a rangé dans quelque sous pente de la maison familiale, soigneusement plié avec d’autres dans un carton noté “Vêtements Olivier”.

Ou alors on me l’a piqué un soir de concert et il a offert son pouvoir à un autre. Cette histoire serait belle.

Je ne sais pas où est ce T-shirt. Je n’en ai plus besoin. Sa magie opère encore.

Je sais que j’ai gagné.

C’était là l’immense pouvoir du T-shirt Sub Pop : un simple logo noir et blanc posé sur 200 grammes de coton et capable de transformer la défaite annoncée du loser standard en éclatante victoire sur la médiocrité.