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Ian MacKaye #1 : Straight Edge

Par Benjamin Fogel, le 17-06-2011
Musique
Cet article fait partie de la série 'Ian MacKaye' composée de 6 articles. L'équipe de Playlist Society raconte son histoire avec Ian MacKaye de Minor Threat, Embrace, Fugazi, The Evens… Voir le sommaire de la série.

D’aussi loin que je me souvienne, je m’étais toujours méfié des chansons qui changent la vie. Les chansons qui touchent, les chansons qui émeuvent, les chansons qui éclairent, j’en avais connues et je continuais d’en rechercher coûte que coûte, mais les chansons qui vous guident et qui vous changent, je m’en défiais comme de la peste. Concevoir que quelques mots scandés au milieu d’un déluge de guitare puissent à jamais influer sur sa vie, c’était non seulement s’abandonner aux simplifications intellectuelles mais c’était surtout faire bien peu cas de ses convictions et de sa construction propre. Sauter de livres en livres, d’idées en idées, de discussions en discussions, cela paraissait naturel et sensé, mais se révéler au travers de quelques mots mal perçus, cela semblait surtout suspect.

Pourtant, il serait malhonnête de nier combien une chanson comme « Straight Edge » de Minor Threat, le premier groupe de Ian MacKaye, m’a influencé. On connait l’histoire de ceux qui ont transformé bêtement un mantra de l’instant en une philosophie de vie, mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit ici.

Lorsqu’en 1981, la vague hardcore SxE trouve ses fondements dans l’interaction entre les deux chansons de Minor Threat « Out Of Step » et « Straight Edge », les kids s’attachent d’abord aux mots :

Don’t smoke
Don’t drink
Don’t fuck
At least I can fucking think

Mais, au lieu d’y voir l’apologie d’une vie d’ascète, il fallait surtout y entendre la nécessité de ne pas se conforter à l’imagerie punk, de ne pas laisser l’attitude rebelle prendre le pas sur ce qui était important. On comprendra alors aisément que Ian MacKaye se soit toujours défendu d’être le créateur du mouvement Straight Edge. Ian MacKaye donne des pistes, partage ses conceptions, mais n’ordonne jamais ; il ne prêche pas ! Aussi on imagine sa déception de voir deux de ses chansons se transformer en hymnes dont découlera même un style vestimentaire. S’habiller Straight Edge, c’était ne rien comprendre au Straight Edge (la mode avait déjà tapé le punk en plein cœur, et c’était justement ce que le Straight Edge dénonçait ; l’histoire du serpent qui se mord la queue).

Pourtant, je ne leur jette pas la pierre aux kids, je comprends bien l’attrait que pouvait avoir cette décorrélation entre l’expression artistique de la violence et l’application de celle-ci dans le quotidien. Être Straight Edge, c’était refuser l’auto-destruction, le no-future et l’absence de valeur, c’était ne conserver du punk que le meilleur – l’engagement social, les prises de positions politiques et la musique sans concession – et le vider de ses clichés. Et puis, il faut bien l’avouer, il y avait une forme de romantisme dans le fait de refuser le sexe sans sentiment, sans affection, qui forcément devait plaire aux garçons sages comme moi. Oui il y avait forcément un peu de ça dans le Straight Edge, l’idée que l’extrême violence et l’engagement n’étaient plus l’apanage des marginaux et des vrais méchants, que les rats de bibliothèque, peureux et incapables de transgresser les limites, pouvaient aussi vivre quelque-chose d’intense. Oui c’était surement ridicule, mais je les comprends tellement ! Je les comprends tellement que né 8 ans plus tôt, je n’aurai peut-être pas manqué de me faire tatouer un X sur le dos de la main.

Néanmoins, malgré cette accointance naturelle pour le mouvement, ce ne sont jamais les textes de « Out Of Step » qui m’ont le plus attiré mais bien ceux de « Straight Edge » et en particulier cette phrase :

Cause I know I can cope

Peu importe la question de la drogue et de l’alcool, la finalité était là : faire face aux choses et être toujours prêt à les attaquer frontalement, et ce dans l’optique d’être meilleur pour soi, et pour les autres. Par la suite, j’y ai surtout puisé l’idée qu’il fallait rentabiliser le temps qu’on avait sur terre, et que la défonce et autres plaisirs de l’instant n’avait qu’un temps.

Voilà ce que sont les chansons de Ian MacKaye : des points d’accroches à partir desquels on peut penser à soi même et à la manière dont on veut se comporter dans le monde.

>> Le titre « Straight Edge » est en écoute à gauche avec les textes.

>> En finalisant ce texte, je réalise combien j’ai cherché dans cette chanson exactement les mêmes valeurs que dans le « Betterman » de Pearl Jam sur lequel je m’étais déjà longuement exprimé ici.