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LE DERNIER TESTAMENT DE BEN ZION AVROHOM de James Frey

Par Benjamin Fogel, le 15-09-2011
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2011' composée de 11 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2011. Voir le sommaire de la série.

Que se passerait-il si le Messie (re)apparaissait aujourd’hui parmi nous ? Probablement rien. Il tenterait tant bien que mal de vivre sa vie ; au mieux il créerait une secte, au pire il finirait dans une émission de télé réalité ; on s’intéresserait beaucoup à ses miracles, très peu à sa philosophie ; ça occuperait les médias un instant ; on vendrait quelques t-shirt, peut-être des mugs à son effigie et on passerait à autre chose. Ou alors ce serait une histoire à la Marc-Antoine Mathieu comme dans « Dieu en personne ».

Dans « Le dernier testament de Ben Zion Avrohom », James Frey cherche à traiter le sujet sans cynisme ; il retrace la vie d’un fils de Dieu, de son enfance malheureuse à sa révélation, de ses absences à ses prodiges, et l’histoire, contée par sa mère et 12 apôtres, prend la forme d’un troisième testament. Mais là où Chuck Palahniuk aurait tiré une monstruosité pleine de gimmicks et de personnages fantasques, James Frey se contente de coller à son sujet sans éclat et avec une absence de recul confondante : là où le premier changerait de style en fonction des personnages (« Peste »), le second se satisfait d’une succession de phrases mal dégrossies dont le seul ressort est la répétition à outrance et le refus d’utiliser des pronoms ; là où le premier inventerait la prière pour retarder l’orgasme (« Survivants »), le second offre un Messie qui chantonne « Faites l’amour pas la guerre ».

Lorsque Ben Zion Avrohom professe l’amour libre et la jouissance débridée comme solutions au bonheur terrestre, il ne s’agit pas un trait d’humour de l’auteur, et encore moins d’une mascarade parodique. Non James Frey s’affirme avec la plus grand sérieux comme le chef de file d’une nouvelle philosophie hippie. Tenant dans la main droite le livre des vérités vraies (l’amour prévaut sur la haine ; il faut réussir sa vie, pas sa mort), et clamant avec aplomb de jolis sophismes sur Dieu et l’infini, Ben Zion réalise une inversion du politiquement correct où ce sont les deux autres testaments qui deviennent des textes subversifs.

Pendant ce temps, James Frey, est lui persuadé d’écrire une mythologie à la hauteur des enjeux du monde moderne, et armé de la philosophie pour tous, il enfonce des portes ouvertes sous le prétexte fallacieux que nous oublions trop souvent les valeurs fondamentales de la vie. « Le dernier testament de Ben Zion Avrohom » ploie alors sous ses convictions. La perte de son fils, ses ambitions colossales, le besoin de marquer son temps et surtout cette affirmation viscérale de ne pas écrire comme les autres (c’est à dire correctement), finissent par lui cacher la vacuité de son propos ! Que faire de cette vision  où il suffirait de baiser pour accepter la perte d’un être aimé, ou bien faire disparaitre un mal de tête ? Lorsque qu’il prétend que la fin approche et que seul l’amour et la jouissance pourraient nous sauver, on a envie de lui répondre, avec ce cynisme qu’il toise, que oui la fin approche mais que rien ne nous sauvera !

Pourtant, il aurait suffit d’introduire un peu d’humour dans ces thèses (les attaques contre ceux qui fondent leur vie sur un livre écrit deux mille ans auparavant, sont en soi plaisantes) et délester le roman de ses prétentions pour en faire une folie surréaliste usant de sa naïveté pour moquer la société américaine. « Le dernier testament de Ben Zion Avrohom » serait alors devenu une œuvre dans la lignée des moins bons Douglas Coupland (« Toutes les familles sont psychotiques »). Car jamais le roman ne manque de rythme ou ne loupe les descriptions de son héros ; et on suit finalement avec facilité et amusement le parallèle entre la désagrégation du corps de Ben Zion et son aura grandissante. On finit même par partager sa méfiance des religions et du gouvernement, ainsi que l’idée qu’on ne peut avoir confiance en un autre homme qu’en le regardant dans les yeux.

Peut-être que « Le dernier testament de Ben Zion Avrohom » se révélerait s’il ne s’agissait au final que d’une vaste blague et d’une nouvelle manipulation de James Frey ; soit une mise en abyme de la capacité des hommes à remplacer un dogme par un autre, et de se prosterner devant des apparences plus que devant des idées.

Mais lorsque la sœur de Ben Zion découvre la magie des chansons pop qui parlent d’amour et d’ailleurs et qu’on croit alors entendre :

Love, love, love, love, love, love, love, love, love.
There’s nothing you can do that can’t be done.
Nothing you can sing that can’t be sung.
Nothing you can say but you can learn how to play the game
It’s easy.
There’s nothing you can make that can’t be made.
No one you can save that can’t be saved.
Nothing you can do but you can learn how to be you
in time – It’s easy.

All you need is love, all you need is love…

Alors on sait que James Frey s’annonce définitivement comme le prédicateur de la pop philosophie.