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PASSER LA NUIT de Marina De Van

Par Thomas Messias, le 14-09-2011
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2011' composée de 11 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2011. Voir le sommaire de la série.

« Rester en vie, ce n’est que du music hall. Un spectacle hors de prix, une grande foire agricole. » Si certaines des élucubrations de Christophe Miossec se caractérisent avant tout par un sens aigu de la rime pauvre, elles présentent au moins l’intérêt de montrer l’existence sous un jour tragi-comique, absurde et désabusé, telle une grande fête à la picole destinée à patienter avant la fin du monde. La vie selon Miossec s’apparente à de la survie, certes, mais une survie imbibée de joie, d’instants de folie entrecoupés de terribles moments de lucidité. Des montagnes russes grandeur nature, en somme.

Lire Marina De Van donne envie de réécouter Miossec, et de se rappeler qu’une dépression peut aussi être fantaisiste ; ou en tout cas décrite comme telle. Car c’est justement cela que semble totalement réfuter la cinéaste devenue romancière, qui s’emploie à restituer point par point la douleur de sa propre dépression, à en étirer chaque minute, à en disséquer cliniquement chaque sensation, chaque cigarette. Noir comme une nuit sans lune passée dans un bunker, Passer la nuit entend ne faire aucune concession, atteindre un niveau de vérité jamais atteint sur ce sujet, faire converger le témoignage et l’exercice de style. Les phrases sont âpres, rigoureuses en diable, pesées et soupesées pour qu’aucun mot ne dépasse, pour qu’aucun sentiment n’affleure derrière les sensations décrites. Pas le moindre millilitre d’oxygène là-dedans : un parti pris évidemment volontaire mais qui fait du roman un calvaire communicatif.

Les premières pages décrivent par le menu l’emploi du temps de la narratrice, citant les heures précises auxquelles se déroulent les événements – ou plutôt les non-événements –, décrivant chaque bouffée de chaque cigarette fumée, du matin au soir, par ce personnage auquel il est évidemment impossible de s’identifier ou de s’attacher. Dès le départ, il convient de s’accrocher fermement aux pages, de serrer les dents bien fort pour tenter de survivre à ce cauchemar. Pourquoi tenter de tenir ? Pour voir ce que De Van a dans le ventre, pour observer ses tentatives de s’extraire du gouffre dans lequel elle s’est enfermée, ou encore pour profiter de l’imaginaire qu’elle finira par déployer sous les effets de sa méditation enfumée. Mais on finit vite par se rendre à l’évidence : le bouquin tout entier est à l’image de ses crispants débuts ; deux cents pages sur le même mode, passées à montrer avec insistance à quel point les journées sont semblables donc de plus en plus insupportables. Répétitif  ? Oui. Complaisant ? Pas sûr. La façon dont l’auteure cisèle chaque phrase permet à Passer la nuit de s’en tirer avec le bénéfice du doute.

S’il suffit probablement d’en lire un quart pour s’en rendre compte, Passer la nuit se distingue néanmoins par sa façon ahurissante de prolonger le travail sur le rapport au corps et à la peau entamé par Marina De Van dans ses films ; et notamment Dans ma peau, où le personnage, qu’elle s’était écrit, finissait par devenir autophage. Ici, il y a de quoi être subjugué, paralysé même, par les nombreux instants dans lesquels elle décrit la décrépitude physique qui est la sienne. Sa peau s’étire et s’assouplit, la cigarette abime son épiderme, son corps se recroqueville et peine à se déployer. C’est lorsque l’enfermement psychique se met à avoir des résonances physiologiques que le livre se fait le plus passionnant, de façon hélas trop éparse.

Passer la nuit n’a rien d’une thérapie, mais c’est incontestablement un défi que De Van s’est lancée à elle-même, seule face à sa page blanche, en oubliant au passage le lecteur situé à l’autre bout de la chaîne. « Rester en vie et devenir luciole. Se tourner vers la lumière, et n’être plus que tournesol. » Sans atteindre de pareilles extrémités, la jeune romancière aurait sans doute dû éviter de négliger la part de lumière, même infime, qui aurait pu lui permettre d’établir un véritable rapport avec son lecteur.

>> les 25 premières pages (les meilleures) sont disponibles en pdf sur le site de l’éditeur : https://www.editions-allia.com/files/pdf_465_file.pdf