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ILS ONT TOUS RAISON de Paolo Sorrentino

Par Thomas Messias, le 16-09-2011
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2011' composée de 11 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2011. Voir le sommaire de la série.

Plus proche de Frank Sinatra que de Frédéric François (c’est en tout cas ce qu’il nous dit), Tony Pagoda est un chanteur de charme. Un vrai. Qui fait se pâmer les ménagères, pleurnicher les minettes, vibrer les foules. C’est aussi un sacré queutard, avec plus d’une coucherie impulsive ou honteuse à son actif. Tony Pagoda aime les femmes, la coke, les pâtes et l’Italie ; mais, plus que tout, Tony Pagoda aime parler. Raconter. Se raconter. Digresser comme si sa vie n’était plus qu’une longue soirée alcoolisée où l’anecdotique prime sur l’essentiel.

Assez maladroitement, le résumé figurant sur la quatrième de couverture d’Ils ont tous raison tente de donner l’illusion d’un vrai fil narratif, avec progression dramatique et envolées existentielles. Pourtant, s’il porte en filigrane les stigmates d’un retour aux racines plus cruel que prévu, le premier roman de Paolo Sorrentino est avant tout affaire de storytelling. En tant que cinéaste, l’Italien est toujours moins intéressé par ses personnages que par les élucubrations fumeuses qu’ils vivent ou dont ils se souviennent devant sa caméra. Régulièrement tournés en ridicule et pas toujours sauvés par la fausse tendresse dont il fait souvent preuve, les anti-héros d’Il divo ou de l’Ami de la famille ne sortent jamais grandis de leurs aventures, mais restent aussi mémorables qu’attachants de par leur façon de concevoir l’oralité comme le meilleur moyen de s’évader ou de faire volte-face. Il y a tout ça dans ce roman : lorsqu’il est trop gêné pour se confier réellement, lorsqu’il est sur le point de prendre une décision qui pourrait s’avérer cruciale, Pagoda élude la question pour ne jamais y revenir.

Cette façon de sauter de chapitre en chapitre sans souci du lien narratif ou des attentes du lecteur a ici quelque chose de profondément gonflé : mais Sorrentino a tellement confiance en sa propre prose (trop sans doute) qu’il préfère donner la part belle à la faconde de Tony Pagoda plutôt que de le laisser s’empêtrer dans une mélasse trop mélodramatique. Nul besoin de s’attarder sur les amours meurtrières vécues par le chanteur, ni même sur son long exil du côté de l’Amazonie, pour comprendre et apprécier ses fêlures : la logorrhée du narrateur et de l’écrivain, souvent ronde en bouche, n’est clairement là que comme un écran de fumée destiné à masquer leurs fragilités communes.

Et donc, Pagoda raconte. Comment il a plus ou moins rencontré Frank Sinatra. Comment il est tombé en amour pour une fille dont la robe de chambre sentait le zucchine alla scapece, un chouette plat à base de rondelles de courgettes frites marinées dans du vinaigre aillé. Comment son cousin obèse a fini par déféquer sur le tapis du salon de sa soeur pour la punir d’avoir oublié son anniversaire. Il y a mille histoires comme ça dans Ils ont tous raison, délicieuses ou pathétiques. Il y résonne un amour immodéré des mots, de l’échange, des gens et des mouches qui les piquent parfois. Pas de doute, Sorrentino est bien derrière chaque mot : on y retrouve la même emphase, le même excès, et au final la même impression de désorientation que dans ses films. Ils ont tous raison donne le tournis, peine souvent à aller au-delà du pittoresque, mais il y a pourtant en lui quelque chose de singulièrement émouvant, qui tient sans doute à sa façon de parler avec les mains, encore et encore, pour mieux masquer son désarroi face à la vie qui passe.