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JOUEUR_1 de Douglas Coupland

Par Olivier Ravard, le 16-09-2011
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2011' composée de 11 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2011. Voir le sommaire de la série.

Le problème des romans à clefs c’est que quand on a perdu les clefs on n’arrive pas à rentrer dedans.
Prenons Joueur_1.
Que s’est-il passé dans le cerveau malade de Douglas Coupland ?
Quelle impulsion mal avisée a-t-elle enclenché la séquence neuronale dysfonctionnelle – je ne sais pas ce qu’est une “séquence neuronale dysfonctionnelle” ni même si ça existe mais vous voyez l’idée – à l’issue de laquelle un écrivain plutôt recommandable fort d’un sujet porteur – la fin de la civilisation, en gros – décide de traiter le dit sujet porteur sans sortir d’un bar d’hôtel miteux ? En cinq heures chrono ?
La lecture de la chose n’éclaire guère. On y trouve une mère divorcée traversant les Etats Unis par avion pour rencontrer un homme dragué sur Internet. On y trouve le dit homme, qui ne ressemble pas du tout à sa photo de profil. On y trouve un barman cabossé par la vie et un prédicateur trop uvéisé pour être honnête. On y trouve un pasteur ayant perdu la foi et gagné 20 000 dollars, piqués dans les caisses de sa paroisse. On y trouve enfin Rachel, une superbe semi autiste en fourreau Chanel à 3400 $, souffrant de prosopagnosie et de tout un tas d’autres trucs qui font d’elle, outre le seul intérêt du roman, une très jolie jeune femme limite humaine et parfaitement capable de retenir les mille premières décimales de Pi.
Placez ces personnages dans un bar d’hôtel et attendez cinq heures.
Pendant ces cinq heures en vase clos, il y aura une fin du monde fort brusque, due à l’épuisement des réserves mondiales de pétrole et dont nous ne verrons rien. Et pendant la fin du monde civilisé tel que nous le connaissons, nos personnages deviseront doctement. Il sera question de théologie, de métaphysique et de pop culture. Nos héros seront capables de dire des choses comme “J’aimerais être fécondée par un mâle Alpha afin de prouver à mon père que je suis bel et bien un être humain, et non un monstre ni une extra-terrestre.”. Il sera question  d’ADN, de Daffy Duck et de tout un tas de données qui ont dû demander à Douglas Coupland pas mal d’heures de recherches sur Wikipedia.
Ha, et il y a aussi un sniper fou.
J’évoque Wikipedia à dessein. C’est que « Joueur_1 » (ha oui, le <Joueur_1> du titre constitue l’avatar de Rachel, la sépulcrale semi tarée, il prend parfois la parole, ne me demandez pas pourquoi) fait partie de ces romans à forte portée civilisationnelle, à peine sortis et déjà datés, où l’on cite Google, CNN, Gmail, Wikipedia, et ebay.
Et puis il y a cette unité de lieu. On a beau dire, placer son grand roman apocalyptique au comptoir d’un bar d’hôtel en minimise singulièrement la portée. Car très vite (page 37, environ) un ennui poli point, pour laisser place, tandis que les dialogues sans issue s’entassent et que rien ne laisse entrevoir la victoire de l’auteur sur son sujet, à un parfait embarras devant le prévisible désastre : Douglas Coupland est périmé.
C’est triste, un auteur périmé. Pour situer, c’est à peu près aussi triste qu’un épisode de Breaking Bad écrit par Marguerite Duras.
C’est que depuis “Generation X”, le fameux roman générationel de Coupland, qui a donné corps, euh, à la génération X, il y a eu Chuck Palahniuk, qui ne se mouche pas du pied dès lors qu’il s’agit de camper des personnages borderline dont les névroses sociétales pathétiques annoncent la fin du monde civilisé en menant l’être humain à sa perte dans la joie, l’allégresse, les stéroïdes et les bêta-bloquants.
Les personnages de Coupland passent leur temps à ne rien faire en se demandant ce qu’ils feraient s’ils étaient des personnages de Palahniuk.
Qu’il est triste, le destin d’auteur périmé, obligé de placer des underscore dans ses titres, comme_ceci, pour entretenir vaillamment une illusion qui ne trompe plus que lui. Qu’il est douloureux l’instant passé par le lecteur à constater la sordide évidence : il se fait chier.
L’ennui est fâcheux, mais pardonnable. Non, l’impardonnable trahison de Coupland, c’est de faire douter, l’espace d’un instant, le lecteur abruti d’ennui métaphysique : l’oeuvre serait-elle au delà de ses capacités de compréhension ?
Que le lecteur se rassure : sa capacité de compréhension est intacte, c’est la capacité de narration de Douglas Coupland qui s’est perdue en route.
De guerre lasse, « Joueur_1 » s’achève sur cette phrase prémonitoire : “Bonne nuit et adieu à tous.”

Oui, voilà.
(Il restera au fan transi le compte Twitter de Douglas Coupland, @dougcoupland, bien plus recommandable)