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Bob Mould #4 : Eiffel Tower High

Par Benjamin Fogel, le 20-04-2012
Musique
Cet article fait partie de la série 'Bob Mould' composée de 5 articles. L'équipe de Playlist Society raconte son histoire avec Bob Mould de Hüsker Dü. Voir le sommaire de la série.

On ne se lasse jamais d’entendre combien Hüsker Dü aura eu une influence déterminante sur toute la musique des années 90. Alors que le trio avait l’impression de s’inscrire dans l’histoire – celle du hardcore et de Black Flag –, il était en train de dessiner les contours de toute une décennie de musique à venir ; et ce naturellement, sans jamais attendre plus de leurs chansons qu’un impact immédiat. Hüsker Dü connaissait ses racines, et s’appuyait sur elle. Et dans ce contexte, comme avec un Fugazi, par exemple, l’intégrité comptait plus que la démarche artistique.

Candy Apple Grey qui sort en 1986 marque un tournant dans l’histoire de Hüsker Dü. Effectivement, il s’agit du premier album du groupe à être publié chez une major (Warner Bros en l’occurrence). Aujourd’hui encore, lorsqu’un groupe fricote avec les hautes sphères de l’industrie musicale, on sent grandir au sein de la fanbase un sentiment profond de trahison : l’inquiétude s’amplifie et on se persuade rapidement que rien ne sera plus comme avant.  Dans le cas de Hüsker Dü, ce phénomène que nous connaissons si bien aura pris des proportions encore plus importantes ; de la trahison avec un grand T. Hüsker Dü incarnait la preuve que le hardcore pouvait s’ouvrir et évoluer sans jamais se compromettre, c’était le leader qu’on suivait les yeux fermés, et là, tout d’un coup, les gens se mirent à douter : car si Hüsker Dü vendait son âme, ce serait la victoire des puristes, de ceux qui depuis le début scandaient que tout incursion pop dans le hardcore conduirait fatalement un jour ou l’autre à un pathétique retournement de veste. Et puis Candy Apple Grey est sorti et rien n’a changé. Hüsker Dü a juste continué d’écrire des chansons sans devoir rien à personne, sans jamais s’interroger sur la réception de celles-ci. Rétrospectivement, on se demande comment qui que ce soit avait pu douter. Bob Mould et Ian MacKaye, même combat à mes yeux. Ce sont des types en qui l’on place sa confiance sans la remettre en cause à la moindre occasion. S’imaginer que Hüsker Dü puisse renier son identité, c’est comme se méfier de son meilleur ami et refuser de lui laisser un double des clefs de son appartement ; si on se méfie de ces gens-là, on se méfie de tout le monde, et la vie devient ingérable. S’il y a des ballades et des hymnes sur Candy Apple Grey, c’est juste que celles-ci ont toujours été dans les gênes du groupe ; il n’y a rien à y voir d’autre. Bob Mould s’était d’ailleurs largement expliqué à ce sujet : le passage sur une major, c’était un truc pour avancer tout droit, pas pour prendre la première sortie et s’engouffrer sur l’autoroute.

Lorsque j’écoute un titre comme Eiffel Tower High, son introduction avec des ohoh, sa manière d’être à la fois rentre dedans et hyper accessible, je réalise une fois de plus le tour de force accompli : Bob Mould a réussi à démontrer que la musique la plus inde possible (celle qui provenait de la sphère hardcore) possédait en son sein des mélodies dix fois plus enthousiasmantes que tout ce qu’on appelait le maintream. Dans Candy Apple Grey vont ainsi se succéder les canevas du grunge (les intonations d’Eddie Vedder se calqueront sur celles de Bob Mould), de la power pop et du punk popisant (Green Day comme Foo Fighters doivent beaucoup à des chansons comme Don’t Want to Know If You Are Lonely et Dead Set on Destruction) ainsi que des futurs unplugged MTV (Too Far Down comporte déjà tout ce qui fera le succès de Layne Staley et du Unplugged d’Alice In Chains). Tout était déjà là : concentré, fier et inattaquable ; en 1986, Hüsker Dü avait ouvert plein de routes en cherchant à ne jamais quitter la sienne.

On pourra débattre sur le fait que Candy Apple Grey soit l’album d Hüsker Dü qui ait vraiment été le déclencheur. Dans un sens, encore une fois, il s’inscrivait tellement dans la logique de ce que le groupe avait déjà fait précédemment qu’on ne voit pas en quoi son impact aurait pu être plus important que celui de New Day Rising sorti un an plus tôt. Et pourtant, peut-être est-ce dû à cette production légèrement plus propre, à ce son plus gonflé (le recours au gated reverb) ou tout simplement au fait qu’il s’agissait d’un disque de major et non plus de quelque-chose que les moins concernés auraient classifié comme obscure, mais Candy Apple Grey et ses tubes comme Eiffel Tower High auront été l’impulsion dont avait besoin l’indie-rock ; un héritage qui débouchera sur le meilleur comme sur le pire.

Mais au final, la chose qui m’intéresse le plus sur Candy Apple Grey, c’est combien ce disque préfigure métaphoriquement les tensions qui exploseront entre Bob Mould et Grant Hart deux ans plus tard. On sent évidemment l’écart qui se creuse dans leur manière de composer : d’un côté il y a les chansons énergiques, péchues et aux mélodies très visibles composées par Hart (Don’t Want to Know If You Are Lonely, Sorry Somehow, Dead Set on Destruction) et l’autre il y a cette approche plus rugueuse qui se niche toujours dans les chansons de Mould. Il hésite encore entre la rage d’antan (Crystal) et les émotions écorchées de demain (Hardly Getting Over It). Du coup, il y a presque deux albums de deux auteurs différents qui s’entrechoquent ici, et Eiffel Tower High est pour moi leur point d’intersection : C’est Bob Mould qui se met dans la peau de Grant Hart, c’est la dernière poignée de main avant Warehouse: Songs and Stories, l’album qui concrétisera le point de non-retour entre les deux songwriters.

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L’intégralité de la série Bob Mould :

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