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A Ghost Story : un silence de mort

Sortie en salle le 20 décembre.

Par Alexandre Mathis, le 15-12-2017
Cinéma et Séries

Face au succès critique rencontré par A Ghost Story, le nouveau film de David Lowery (Les Amants du Texas, Peter et Eliott le Dragon), la principale contre-argumentation venait de son côté arty, ou de film pour hipster surstylisé. En effet, Lowery utilise un format presque carré, aux bords arrondis et une image sépia, pour lui donner une patine vintage. En plus de l’image « Instagram » – diraient ses détracteurs, le fantôme joué par Casey Affleck est représenté de la manière la plus littérale qui soit : un homme sous un drap blanc avec juste des trous pour les yeux. En somme, le fantôme qu’on imitait enfant.

Or, il s’avère que j’ai vu A Ghost Story lors d’un trajet en avion, ce qui change considérablement l’expérience. La vision globale s’en retrouve modifiée. Habituellement, les films vus en avions servent à rattraper les gros blockbusters pétaradants manqués lors de leur sortie en salle ou la comédie un peu passée inaperçues. A Ghost Story, expérience plus intime, sied à priori mal aux allées-et-venues d’un couloir d’Airbus. Sauf qu’il s’agit presque d’un film muet. Hormis les dix premières minutes, où C (Casey Affleck) et M (Rooney Mara) discutent de quitter la maison dans laquelle ils vivent, le silence prend vite de l’importance. Dès l’instant où C meurt et devient un fantôme, aucune parole ne sera échangée pendant de longues minutes. Les rares personnages tiers qui interviennent disent quelques banalités qui ne sortent pas de leur solitude C et M. C reste cloîtré dans la maison qu’il ne voulait pas quitter. M fait son deuil avant de finalement partir. Le temps s’écoule, les minutes, les heures puis les années passent en un fragment de secondes.

Dans le monde de l’au-delà, le temps est une prison, un ruban de Moebius qui, pour le fantôme de C, est un cauchemar. Jamais la phrase de Woddy Allen n’avait été si bien illustrée : « l’éternité c’est long, surtout vers la fin. » Ce silence religieux croise les aspérités sonores de mon trajet en avion. C marche dans la maison, un bébé du vol se met à pleurer ; les hôtesses passent proposer à manger, M vomit sa tarte gloutonnée ; une annonce sonore du pilote intervient pendant le souvenir de C. La musique de A Ghost Story reste tellement discrète que le moindre bruit de pas dans l’avion prend le dessus.

a ghost story 2

Paradoxalement, ces perturbations extérieures mettent en lumière la vraie richesse du film : le vide éternel que vit C. Sa double malédiction est terrible : ne plus communiquer avec son épouse et ne pas pouvoir partir en paix pendant qu’elle continue de vivre ailleurs. Le silence du film est pesant. La vitalité de la vraie vie dans l’avion l’accentue. Lowery ne se prive pas d’en rajouter, dans une outrance singulière, pour illustrer son propos. Quand M mange une tarte puis part vomir, le plan fixe dure plusieurs minutes. Son défunt mari la contemple dans un coin de la pièce, stoïc, impuissant. On oscille entre la posture auteuriste et une beauté digne de Béla Tarr. Quel torture pour C de se voir réduit à une condition de spectateur ! Comme si on ne pouvait jamais sortir d’une salle de cinéma, les yeux rivés sur l’écran comme Alex dans Orange Mécanique. La douceur visuelle n’est qu’un leurre : A Ghost Story est un film de souffrance extrême. Ses atours lo-fi sont comme une photo contrastée : éclairer à outrance pour mieux mettre en valeur les ombres.

Ce silence qui mettait mal à l’aise était finalement préférable au bruit.

Pire, quand le silence est brisée par une fête dans la maison ou par la ville futuriste, l’angoisse se révèle plus grande. Ce silence qui mettait mal à l’aise était finalement préférable au bruit. Pour C, brouhaha ne veut pas dire vie. Si des gens boivent et débattent de l’état du monde autour de lui, si une nouvelle famille s’installe, qu’est-ce que cela change à sa solitude ? Rien. L’incommunicabilité presque totale – il arrive à se manifester en faisant voler les assiettes ou en tapant sur le piano – l’emmure dans un délaissement qui rappelle cette phrase de la Ligne rouge : « Est-ce que je me sens seul ? Seulement entouré des gens. »

L’avion atterrit, rempli de son flot de voyageurs tous plus enjoués les uns que les autres. Aucun ne se doute que, chez eux, un fantôme profite peut-être de leur absence pour se sentir un peu moins isolé.