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Un cycle de sept ans. Si Eva Bester questionnait un jour mes remèdes à la mélancolie sur France Inter à l’heure de messe, ce qui n’arrivera sans doute jamais et encourage lesdits remèdes à être solides, j’avancerais le caractère immuable et sûr des chiffres. Pas les mathématiques, encore moins la numérologie. Simplement les chiffres. Comme le fait que The Weeknd sorte son septième projet sept ans après son premier. Vouloir être rassuré n’est peut-être pas la meilleure stratégie quand vient sonner la voix éthérée d’un Roquentin qui se traîne, cependant je ne peux m’empêcher de penser qu’en titrant son EP My Dear Melancholy, le Canadien est un cousin de mon vague à l’âme.

Repéré par Drake, il a depuis collaboré avec tout ce que la planète compte de stars, d’Ariana Grande à Lana Del Rey, en passant par Future et Kendrick Lamar. Ainsi qu’avec les Daft Punk, qui contribuent à le mettre en orbite en 2016 avec « Starboy » et dont la moitié casquée nommée Guy-Manuel de Homem-Christo œuvre ici à la production de l’efficace et doux « Hurt You » (doux notamment car le nom du morceau est une antiphrase).

Mais celui qui aura véritablement stratospherisé The Weeknd, Abel Tesfaye à la ville, n’est autre qu’un gamin né à Gary, Indiana et disparu cinquante ans plus tard : Michael Jackson. Prenant les devants la où tout le monde comparait la tessiture de ses maquettes à la voix du roi de la pop qui venait de s’éteindre, le jeune Tesfaye — 21 ans à peine – reprend « Dirty Diana » et le fait d’une manière qui impose d’emblée l’évidence de son art.

The Weeknd enfonce le clou, avec un panache qui semble regarder sa détresse dans les yeux

Mais la voix n’est pas la seule facette de cet art qui lie les deux hommes aux destins si successifs. Dans House of Balloons / Thursday / Echoes of Silence, sa triple mixtape inaugurale — fait sinon rare du moins osé, si l’on pense à la quantité de qualité gratuite que cela représentait durant le premier mandat d’Obama — figurait « Next », où The Weeknd semblait actualiser la plainte sophistiquée et universelle à la fois de « Billie Jean ». “She’s just a girl who claims that I am the one” / “You just want me ’cause I’m next”. Chez les deux artistes, le même ingrédient secret échappe au pontifiant triangle “bourreau-victime-sauveur” des chantres du développement personnel.

En renouant avec cette tristesse patente empreinte de force, celle de sa première manière, The Weeknd montre des qualités prospectives qui forcent l’admiration. Comme si quelqu’un prenait les rênes de sa carrière en proposant ce qu’il a déjà fait et que le public ne veut plus entendre. Il s’en acquitte bien évidemment avec plus de moyens, avec des signatures — Nicolas Jaar, Skrillex — mais enfin il enfonce le clou, avec un panache qui semble regarder sa détresse dans les yeux. Abel Tesfaye, tout juste réformé du Club des 27, semble ne vouloir jamais passer par une vulgaire crise de la trentaine, quarantaine ou quoi que ce soit. Le diable bleu est dans les chiffres.