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Entretien avec Patricia Mazuy pour la sortie de Paul Sanchez est revenu !

Sortie du film le 18 juillet 2018.

Par Quentin Mével, le 13-07-2018
Cinéma et Séries

Comment avez-vous réfléchi la mise en scène entre espace et action ?
Il fallait mettre en scène de façon non appuyée, sinon la mise en scène serait devenue le sujet, alors que le sujet, c’est eux, les personnages. Fallait pas être en surplomb sur eux. Sur le côté personnages à la Coen, ils n’ont pas tous inventé la poudre, le commandant par exemple, qui se prend pour Machiavel, est parfois complètement à côté de la plaque, mais en même temps il a un certain raffinement. Si tu fais des plans très alambiqués là-dessus, tu fais des trucs de série, avec des effets de flou, des machins comme ça. Il fallait avoir un rapport basique avec les personnages. On avait en plus beaucoup de décors, plus de 65. On crapahutait beaucoup. Fallait aller très très vite.

Quelle a été votre première envie, votre première impulsion ; le décor justement, le film de flic, le serial killer ?
C’est Yves Thomas qui m’a amené l’idée du film, en me disant qu’il avait une idée de film pas cher qui m’irait bien – mes propres idées de films sont souvent trop chères. Avec le côté rocher parce qu’il sait que j’adore les western, et les gendarmes – j’ai un gros fantasme de l’uniforme. Il m’a bien eu. On est allé au rocher (de Roquebrune, ndlr), et effectivement, ce coin est extraordinaire pour faire une sorte de portrait en coupe verticale d’un microcosme français de province. Pour répondre plus directement à la question, l’idée de fond était, pourquoi parfois on lit un fait divers avec avidité ? Comment d’une embrouille entre un journaliste et le commissariat, ça devient une vraie tragédie ?

Le ton du film est très singulier, et balance entre comédie et tragédie. Vous l’imaginiez ainsi dès l’écriture ?
Je trouve que c’est un film noir, dans lequel on rit. Qui est traité avec légèreté. Quand on voit les films coréens ou Fargo des frères Coen par exemple, c’est comme ça. C’est juste qu’on ne fait pas ça en France. Chez les Coen c’est plus sanglant, plus gore, alors qu’ici la cruauté est dans la tête. Le ton est totalement assumé ainsi, on prend le rocher, la quatre voies, la ville, on se dit qu’on est tout petit dans un très grand monde. Et déjà, ça, c’est drôle.

La comédie passe aussi beaucoup par les acteurs, le jeu des acteurs.
Oui, avec cette idée de ne pas faire un cinéma naturaliste ; on fait une vraie tragédie avec des personnages qui agissent un peu comme des mouches qui vont se taper contre la vitre. Tous les acteurs viennent du théâtre ; avec l’aspect comédie, c’est tellement précis. La séquence où il parle de Johnny Depp au début, dans laquelle Marion (Zita Hanrot, ndlr) discute avec le commandant, qui est son maître à penser, son gourou – elle veut lui plaire, elle est tellement seule, avec sa tortue – ce n’est pas réaliste, mais on est tellement dans le réel de leur désir. Lui veut être Machiavel, et elle veut vivre une grande enquête – alors qu’elle est toute seule dans sa petite gendarmerie où les gens viennent pour des affaires mineures. Les gendarmes, c’est un peu les voisins du quotidien, ce sont eux qui donnent une fenêtre sur le réel de cette petite ville. On voit le monde réel du point des vues des gendarmes.

Vous répétez beaucoup avec les acteurs pour obtenir ce ton ?
Sur le rocher, il fallait juste s’apprivoiser, Laurent Lafitte et moi. Parce qu’on ne se connaissait pas. En même temps, le rocher, c’était tellement beau, et il est tellement bon. Les difficultés étaient plutôt liées à la logistique, monter le matériel. Dans la gendarmerie, c’était une autre paire de manches parce que si on ne fabriquait pas un monde, ça allait faire Cherif, une série sur France 2. Des images de séries TV qu’on a l’habitude de voir. Déjà, on n’était pas dans un commissariat, mais une gendarmerie, ce qui est plus cool, parce qu’on a un côté militaire, caserne, un petit monde à côté de la route. Plus les uniformes. On a beaucoup répété à Paris ; les dialogues étaient très précis, et nous n’avions pas beaucoup de temps de tournage. Et le week-end précédent le tournage, on a aussi répété dans les décors. Ils ont aussi fait des stages de gendarmerie. Moi aussi, en Tarn et Garonne. Zita a en plus été travailler le maniement de fusil – elle a beaucoup couru aussi, 10 km par jour avant le tournage. Ils sont allés ensemble dans une petite gendarmerie où un commandant les a entraînés très sérieusement – on a vu plein de choses, comment les plaignants se présentent, comment ça se passe dans les couloirs.
C’était aussi très important pour pouvoir régler les histoires de circulation. Sinon, on allait dans du cliché, dans quelque chose que je ne pourrais pas comprendre. Chaque figurant avait donc une affaire, même si on ne le voit pas à l’écran – une effraction, un coffre SNCF volé, ou des affaires de scellés à apporter au procureur. D’ailleurs, un acteur m’a dit qu’il ne pouvait pas prendre les scellés parce qu’il n’avait pas l’uniforme qui correspond au grade. Le commandant aussi s’est beaucoup exercé pour l’arrestation dans la rivière, la gestuelle est très compliquée. Zita, par exemple, s’est beaucoup entraînée à utiliser le fusil – elle ne le porte pas comme à la TV. Elle le porte exactement comme il faut, pour éviter les accidents, elle le baisse dès que c’est possible. Pour arriver à jouer, il faut avoir travaillé avant. Ils avaient aussi répété l’arrestation du Sanguin – celui qui crève les pneus des arabes.

On retrouve un mélange stimulant entre un cinéma très français – on reconnaît les lieux, les magasins, les habits – mais aussi très américain – le rocher rappelle le western, la police et le tueur rappelle le genre.
Oui, mais en même temps, sur le rocher avec le chef opérateur, on faisait très attention à ce que ce ne soit pas filmé comme dans un film américain. C’était vraiment important, je ne voulais pas faire un sous western fauché. Le western vient juste du côté l’homme, la nature, les uniformes, les fusils, mais à l’image, c’est vraiment filmer la France. Ils veulent vivre quelque chose d’intense. En tout cas la gendarme Marion et Yoan, le journaliste – d’ailleurs lui aussi a été faire un stage à Var Matin pour le rôle. Il ne joue pas du tout ce genre de rôle, pour faire le journaliste un peu maladroit qui rêve d’être à BFM, il a pris 10 kg. Pour devenir le gars un peu pataud qui veut coucher avec sa copine. Ils aspirent tous à quelque chose de plus grand. Ce sont des petits destins, mais ce sont des destins.

Oui chacun rêve d’une destinée plus grande, et le film, très français, est marqué par le cinéma américain.
Oui faire un film français « bigger than life ». C’est un truc sur la naïveté et la croyance. Je crois dans la force des histoires. J’aime au cinéma ne pas voir ce qu’il va se passer. Très souvent on voit bien ce qu’il va se passer, on s’intéresse alors à la façon dont ça arrive. Mais j’aime bien être un peu surprise. Travailler ça était important, au montage par exemple. Parfois tu voudrais t’attarder un peu, faire un beau plan, or il faut tout de suite accueillir de l’ailleurs. Ne pas être complaisant avec l’image. Il faut tout le temps être dans une situation hyper concrète, et ne pas s’y attarder. Au départ, le personnage de Sanchez est comme une figure, et au fur et à mesure, il devient un drôle de gars – il mange des ravioli, il est un peu à bout dans sa cavale. Il est dans l’impro. Et en même temps il est guidé par un besoin intime très fort de dire les choses qu’il a sur le cœur. Il ne va pas bien. C’est son côté tragique.

Propos recueillis par Quentin Mével, juin 2018.