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UNE SEPARATION de Asghar Farhadi

Sortie le 08 Juin 2011 - durée : 2h03min

Par Benjamin Fogel, le 07-07-2011
Cinéma et Séries

La barbe grisonante de Nader, les cheveux roux de Simin, le regard au bord de la rupture de Hodjat, la bouche ouverte et inquiète de Razieh… c’est tout un portrait de l’humanité qui se dessine dans « Une séparation » de Asghar Farhadi. Se présentant comme une double analyse de la vie en société, le film iranien prend appui sur deux scènes clefs pour illustrer les différents niveaux d’interaction humaine. Ces deux scènes, ce sont celles où les protagonistes se retrouvent devant un juge, d’abord  Nader et Simin pour une séparation conjugale puis Nader et Hodjat pour une séparation sociale. A partir d’elles, le film dresse une série de murs, des murs qui séparent bien sûr, mais surtout des murs qui isolent, des murs physiques (très jolis jeux avec les vitres, les paravents, les portes, les espaces), mais aussi des murs psychologiques, voir des murs générés par la maladie. Quels murs le juge (le spectateur ?) peut-il abattre, quels murs sont-ils au contraire indestructibles ?

Le premier procès (celui de la séparation conjugale) est sans issue, mais le second (celui de la séparation sociale) peut se résorber : il est difficile mais pas impossible de briser les murs qui séparent le croyant du non croyant, le pauvre de l’homme des classes moyennes, en revanche, on ne peut remonter la pente de la fissure amoureuse. On peut comprendre autrui, se mettre à sa place, compatir ou avoir pitié, mais on ne pardonne jamais à ceux qu’on a aimé. Alors qu’elles paraissent anecdotiques (mises en perspective de la gravité des blessures sociales et des incarcérations qui se profilent), les blessures des proches sont celles qui font le plus mal. Les Hommes peuvent mettre un terme à leurs différents, mais une fois qu’un doigt a été mis dans l’engrenage la relation homme / femme est condamnée ; de l’optimisme pour le monde, du pessimisme pour soi-même. Dans le cas du couple, la vérité n’existe pas, il s’agit toujours d’une succession de non-dits et de ressentiment que l’intimité finit inéluctablement par générer, en revanche dans le cas de la confrontation sociale se loge bien une vérité, une vérité enfouie sous les mensonges des hommes mais une vérité tout de même, qu’elle soit morale ou amorale.

C’est là la grande force de « Une séparation » : alors qu’en surface, il semble d’abord illustrer un Iran en pleine mutation, à cheval entre traditionalisme et modernité, il finit par se déployer en une incroyable aventure humaine universelle qui raccroche le wagon avec la quintessence dostoïevskienne. Plus que les reproches et leurs conséquences, ce sont trois des piliers de l’humanité qui sont ici ébranlés : d’abord la justice, puis le mensonge et enfin la culpabilité. La différence entre Nader et Raskolnikov ? Le premier peut remettre la décision d’avouer ce qui lui pèse entre les mains de quelqu’un d’autre (sa fille Termeh en l’occurrence).

L’enfant joue ici un rôle décisif : tout en étant au cœur des enjeux, tout en étant à la fois celui qui décide et celui pour lequel on se bat, il ne récolte jamais l’attention qu’il mérite. Pourtant, c’est bien Termeh qui polarise les tensions du couple et surtout c’est elle qui sera amenée à décider des issues : non seulement elle devra choisir entre son père et sa mère, mais surtout elle devra choisir entre la liberté du père et la vérité (du moins c’est ce qu’elle croit au moment du choix). Il est alors intéressant de noter que chez les traditionalistes c’est naturellement Dieu qui tranche entre mensonge et engagement d’honnêteté alors que chez le ménage moderne, c’est sur les enfants qu’est reporté ce choix ! Mais Asghar Farhadi ne juge pas, il souligne juste que chacun remet son destin entre les mains d’une entité supérieure (la déité ou l’avenir) ; l’un protège et aime, l’autre impose et reste juste, et au milieu les hommes se débattent dans un monde qui change.

Encore une fois, il n’y a pas de partis pris : il n’est pas question d’argent ou de religion, le clivage entre les règles islamiques et l’influence occidentale, l’écart entre les pauvres et les moins pauvres, ne sont jamais des caractéristiques destinées à expliciter ou pire à justifier les actions des hommes ! Au contraire, malgré les apparences, les personnages de « Une séparation » ne sont jamais habités par le mépris ! Ils peuvent avoir la rage, ils peuvent être poussés à bout mais ils n’usent jamais de leurs différences pour en déduire de grossières généralités sociologiques.

Note : 9/10

https://www.youtube.com/watch?v=5cY4CahvZY8