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QUAI D’ORSAY TOME 2 de Blain et Lanzac

Par Anthony, le 09-12-2011
Littérature et BD

Les Etats-Unis semblent décidés à déclarer la guerre au Lousdem, pays arabe riche en pétrole et dirigé par un dictateur cachottier quand il s’agit de faire preuve de transparence sur son programme d’armement… Toutefois, les griefs semblent légers pour engager le monde dans une guerre qui semble inévitable. C’est sans compter sur le bouillonnant locataire du Quai d’Orsay, Alexandre Taillard de Vorms, qui va oeuvrer pour éviter le déclenchement de ce conflit injuste…

Bizarre, tiens… ça me dit quelque chose, cette histoire de luttes diplomatiques mondiales sur fond d’ONU et de faucons républicains… Un reportage de Benoît Duquesne sur les coulisses du conflit irakien ? Un document plein de révélation écrit par un journaliste d’investigation du Monde ? En tout cas, pas une BD, ça c’est sûr… Trop austère comme sujet… Pas assez de flingues, de chevaliers ou de belles filles aux formes généreuses…

Bah si.

C’en est même passionnant sous cette forme.

La diplomatie française décrite par Christophe Blain et Abel Lanzac dans ce tome 2 qui conclut la série Quai d’Orsay, c’est l’exaltation des gesticulations de couloirs face à la détermination des faucons américains, déterminés à jurer sur la Bible qu’un jeu de jokari irakien contiendrait du plutonium. C’est le portrait d’un ministre, un ogre, un cyclone qui emporte tout sur son passage sans jamais préserver le moindre répit à ses collaborateurs. C’est également le récit de la vie quotidienne de ce petit peuple de diplomates de la République, dévoués corps et âme à leur mentor excité et inspiré.

Arthur Vlaminck, avatar de Lanzac, est le fil rouge de cette aventure à la fois feutrée et tempétueuse, un jeune type responsable des « Langages » du ministre, autrement dit sa plume, son nègre, l’ouvrier fidèle qui met en mots les concepts parfois fumeux et abscons de son patron. Et la diplomatie sous Alexandre Taillard de Vorms (grand escogriffe sous les traits duquel il serait peu clairvoyant de ne pas reconnaître Dominique de Villepin), c’est l’art français de ne pas aller en guerre, tout en conservant ce panache de loser gaulois qui fait préférer la défaite footballistique de Séville ’82 (face aux affreux Allemands mal coiffés de Hörst Hrubesch et Harald Schumacher) à la victoire un peu fade de Stade de France ‘98.

Si la diplomatie suppose un art consommé du verbe, de la nuance, où chaque virgule, chaque allusion comptent et prennent sens, signifiant en jargon diplomatique une décision irréversible ou une menace légère selon qu’on use ou non du conditionnel, elle implique également un art du rapport de force. Les mots restent au service de l’action politique ou militaire, les mains serrées et les sourires de façade des sommets internationaux ne constituant qu’un habillage civilisé à des décisions souvent dramatiques.

La grande réussite de l’entreprise de Blain et Lanzac, déjà auréolée de succès l’an dernier avec le premier tome de Quai d’Orsay, c’est l’alliage parfait entre les mots et l’action. Les mots de Lanzac, d’abord, ancien collaborateur du ministère, restituent le bouillonnement intense qui agite les cerveaux du ministère malgré les moquettes épaisses et les ors de la République. Les dessins de Blain, nerveux et tremblants, à la fois très schématiques et regorgeant de détails, insufflent une vie étonnante à ces chroniques d’une grande tension, matérialisant avec maestria le contraste entre la retenue diplomatique et la férocité des combats qui sous-tendent chaque prise de parole à l’ONU. Les nerfs des personnages sont mis à rude épreuve, tout autant que ceux des lecteurs.

On aurait difficilement imaginé que ces VLAM !, BANG ! BONK ! ou TCHAA ! puissent exister en dehors des comics remplis de super-héros affublés de collants et autres masques. Quai d’Orsay apporte la preuve que dans la diplomatie mondiale, même s’il s’agit rarement de défendre la veuve et l’orphelin ou de dérouiller les méchants, les capes sont remplacées par les complets-cravate.