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Il doit être 18h15. J’en suis à la moitié de ma  bière et Alexis HK me dit « Plus on se rapproche de la mort, plus on se rapproche de la vérité ». Cette phrase, il la lance avec beaucoup de sérieux ; ce n’est pas un bon mot ; elle ne cache aucune malice. Si nous en sommes en si peu de temps arrivés là, c’est que son nouvel album Le dernier présent marque un tournant surprenant dans sa discographie. Pour autant, il ne s’agit pas d’un disque de rupture – on peut d’ailleurs facilement y trouver une certaine continuité avec ses précédents albums –, mais plus d’un disque de révélation, comme si Alexis HK se révélait à lui-même, comme si, en se faisant plus introspectif, il se découvrait un talent qu’il ne s’imaginait pas.

Le fossé qui sépare Les Affranchis du Dernier présent appelle forcément des questions. Le premier est un disque de troubadour jovial : on s’y amuse parfois mais l’ensemble reste anecdotique. C’est un patchwork musical un peu bancal, mélange de pop, de folk et même de reggae. Les chansons s’égarent, certaines font dans la référence cinématographique, d’autres dans l’humour, et les allusions politiques restent toujours au stade de clins d’œil laissés à la libre interprétation de l’auditeur. Alexis HK ne nie pas ce constat : Les Affranchis était un disque où il n’avait rien à perdre, où il pouvait faire ce que bon lui semblait, du bon comme du mauvais, puisque seul comptait sa liberté. Au point où il en était dans sa carrière, il n’y avait qu’une seule chose à faire : se faire plaisir. Il ne regrette rien. Comme Dominique A, ce n’est ni un homme à réécrire l’histoire, ni un homme qui se ment à lui-même. « J’avais besoin de ça à l’époque et je l’ai fait ».  Il n’y a rien à dire de plus ; il ne se renie pas, il constate juste ce qu’il a été. Au contraire, le second, son nouvel album, est un disque d’une belle cohérence, un projet artistique global où il explore son rapport au monde d’aujourd’hui dans une perspective à la fois politique et humaine. Les textes sont soignés, les chansons se répondent entre elles, l’univers musical est épuré. Mais ce qui interpelle le plus, c’est la qualité du songwriting et les mélodies, à la fois doucereuses et tristes, qui habitent des chansons comme Son poète ou Je reviendrai. Alexis HK n’est plus un de ces énièmes descendants de la chanson française qui essayent, avec plus ou moins de succès, de défendre l’héritage de Brassens. Non il fait maintenant partie du cercle très fermé de ceux qui donnent du sens aux chansons à texte en français, aussi bien au niveau du fond que d’un point de vue mélodique, faisant ainsi de lui un compagnon de route de, par exemple, Bertrand Belin.

Comment expliquer ce fossé ? C’est à ce moment qu’on arrive à cette idée de la mort et de la vérité. On pourrait s’attendre à ce qu’Alexis HK explique cette évolution par une rencontre qui l’aurait particulièrement marquée, par l’influence d’un autre artiste qu’il aurait récemment découvert, ou encore par une remise en question à travers laquelle on lirait en filigrane un repositionnement marketing ; après tout c’est en général les réponses qu’on obtient lorsqu’on interroge les musiciens sur leurs nouvelles orientations. Mais non, Alexis HK répond tout simplement : « Le temps qui passe ».  Il ne dit pas qu’il a gagné en maturité, il dit juste qu’il  n’est plus assez jeune pour ne pas se poser des questions. Il ne dit pas ça pour faire le mariole ou pour se donner un genre. Le dernier présent c’est vraiment la rencontre entre un homme et son temps.

Aujourd’hui Alexis HK n’est plus libre : il sent qu’il doit plus au monde que des chansons légères. Il est temps pour lui de se positionner et de mettre en parallèle l’être et le monde. D’un côté il y a l’homme qui se rapproche de la quarantaine, et de l’autre il y a cette société qui se délite et ce futur qui s’annonce chaque jour un peu plus sombre. Quelle est sa place au milieu de tout ça ? Je lui demande si c’est l’intensité de la crise actuelle qui le pousse à l’action, ou si c’est parce qu’il a presque 40 ans qu’il perçoit cette crise comme plus intense que les autres. Se positionne-t-il parce que la situation (inter)nationale l’exige ou parce que c’est ce que doit faire tout homme qui arrive à la moitié de sa vie ? Il me répond qu’effectivement il y a un parallèle qui se crée entre les crises personnelles et les crises du monde, que le sujet a beau être général, il est beaucoup question d’intimité dans sa manière de l’aborder. Mais pour autant, Alexis HK ne prétend pas du tout à un quelconque « engagement ».  Au contraire, même, les gens engagés, ceux qui ont des convictions définitives sur les choses, auraient tendance à lui faire peur. Lui, il reste habité par le doute, et il tire presque une fierté de cette façon de n’être jamais sûr de rien. Il y a une forme de normalité dans le fait de douter, et la normalité c’est ce qui nous manque le plus aujourd’hui (confère l’argument politico-marketing que c’est devenu). Contrairement à beaucoup de ses collègues de la chanson française, Alexis HK ne donne pas de leçons  et ne porte pas de jugements de valeur. Son seul engagement, c’est celui de « continuer sa route ».

Du coup, Alexis HK est victime d’un paradoxe, paradoxe que je retrouve également chez moi. D’un côté il y a une conscience très claire d’être des gens  privilégiés au sein d’un monde qui tourne de moins en moins bien, avec la nécessité corolaire de se positionner  politiquement parlant, et de l’autre il y a cette impression poisseuse qu’au final tout ça est vain et qu’il faut relativiser la politique, que les guerres de chapelles n’ont au final aucun sens puisque tous les hommes recherchent la même chose : « le bonheur, l’amour et le respect » me dit-il. En ces temps où l’optimisme est souvent considéré comme une faiblesse et une manière de se voiler la face, il y a chez Alexis HK une envie intime de rester positif, de se dire que oui le monde va mal, mais qu’au final les gens continuent de tomber amoureux, d’avoir des amis et peut-être, par instant, d’être heureux. « Il ne s’agit pas de noircir le tableau inutilement » confirme-t-il. Selon lui, ce paradoxe explique « la mélancolie positive » qui habite Le dernier présent.

Ce paradoxe, Alexis HK le développe aussi en me disant que « L’enfer c’est les autres, mais que sans les autres c’est aussi l’enfer ». Lorsqu’il croise un clochard, il ne se dit pas « le pauvre, il n’a pas d’argent, mais le pauvre, il est seul ». C’est ça qu’il veut raconter au sein de son album. Il veut partager ses impuissances, et du coup il ne fait ni dans la prophétie, ni dans le débat de comptoir. Il se pose au milieu, à hauteur d’homme, avec pour simple conviction l’idée qu’il a un point de vue sur la question, et les mots pour l’exprimer de manière pertinente.

C’est peut-être aussi là le blocage qui existait à l’époque de Les Affranchis et qui a ici sauté. Le monde est difficile à comprendre et Alexis HK est partisan du « ferme ta gueule si tu n’as rien à dire ». C’est pour cela qu’il cherchait auparavant ses sujets du côté du cinéma et des histoires pour enfants. Il ne se sentait pas légitime à aborder les sujets qui le touchaient. Car quelle est la place pour un artiste français contemporain au sein de  l’immensité des réflexions sur l’homme, la société et le temps qui passe ? Que peut-il apporter de plus par rapport à tous les penseurs qui se sont déjà penchés sur le sujet ? Alexis HK se sent enfin capable de répondre à cette question, et il le fait en travaillant encore et encore ses textes et ses mélodies afin d’obtenir un rendu intime qui surligne l’importance de son passé – ses racines sur César, ses amis sur Je reviendrai, sa génération sur Fils de – dans sa compréhension du monde actuel : A la fin de l’empire, Chacun est à sa place, Nul n’est meilleur ou pire, Nul ne reste de glace.

On aimerait voir dans Le dernier présent la preuve qu’Alexis HK a franchi une étape et que, désormais, il aura sa place sur l’échiquier de la grande chanson française. Mais rien n’est moins sûr. De par son titre, de par son côté album d’avant l’apocalypse, il ne porte en lui aucun engagement pour la suite. Soit Alexis HK aura à nouveau des choses à dire et alors tout coulera de source avec peut-être encore plus de clarté. Soit il aura déjà exprimé avec cet album tout ce qu’il avait à dire, et préférera alors revenir à des choses plus légères. Dans tous les cas, je sais qu’il ne reviendra avec un bel album que s’il en perçoit à nouveau la nécessité. Au final, face à la liberté des Affranchis, c’est peut-être ça qui ressort du Dernier présent : la nécessité.