Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Le Hobbit de Peter Jackson : ce que nous apporte le HFR

Sortie le 12 décembre 2012. Durée : 2h45min

Par Alexandre Mathis, le 13-12-2012
Cinéma et Séries

On vient peut-être de trouver le substitut à la disparition de la pellicule en redonnant de la vie aux images alors que le numérique lissait tout. Peter Jackson l’expérimente avec son Hobbit, redéfinissant son rapport au spectaculaire.

Les craintes autour de la prélogie du Seigneur des Anneaux, Le Hobbit, avaient de quoi rappeler les plus douloureux souvenirs des fans de Star Wars, médusés devant les épisodes I à III. Le défi de Peter Jackson consistait à donner un second souffle à la Terre du Milieu sans tomber dans la redite. Objectivement, le pari n’est qu’à moitié réussi. Si pour un fan, les références multiples et le rythme volontairement lent des débuts peuvent lui servir de dégustation fétichiste d’un monde qu’il aime, le spectateur moins passionné perdra patience rapidement. Cette problématique de la gestion du temps découle de l’autre crainte que nous avions dès l’annonce de cette nouvelle trilogie : Jackson fait autant de films pour adapter un petit conte de 300 pages qu’une fresque de plus de 1 000 pages. Et cela se ressent un peu. Le réalisateur étire, dispache, sans pour autant donner corps à tous ses personnages. Le Hobbit, c’est l’aventure d’un semi-homme embarqué par le magicien Gandalf dans une quête contre un dragon. Treize nains mènent la danse. Sauf que de ce groupe, pas plus de trois ont une consistance suffisante pour capter l’attention. Même le brave Bilbon Sacquet, héros du livre, peine à gagner en épaisseur. Il faut attendre deux heures et la confrontation avec Gollum – le personnage le plus incroyable de la saga – pour que les personnages se révèlent enfin subtils, touchants et charismatiques. Là, en un quart d’heure, alors qu’on pensait tout connaitre d’elle, la créature fait peur puis pitié, et redonne un nouvel élan au film, confirmant, malgré ses défauts, le plaisir qu’on a pu y prendre. Un regret persistera néanmoins toujours : Le Hobbit aurait dû exister avant le Seigneur des Anneaux. Cela aurait évité cette fausse impression que Jackson s’autoréférence en posant les galons du Seigneur des Anneaux. Alors qu’en réalité, il ne fait que reproduire la situation du livre de Tolkien, écrit des années avant la grande saga.

Donc oui, Le Hobbit est un film rempli de défauts qui peut facilement agacer. Sauf que le réalisateur néo-zélandais a fait d’un parti pris technologique non pas un cache misère, mais une redéfinition de l’approche au spectacle. Filmée en 3D, tout l’enjeu était de savoir comment intégrer la mise en scène très en mouvement de son auteur. Il aime les plans aériens, sorte de manière d’explorer dans tous les sens un monde entièrement recréé. Les vues aériennes donnent du recul ; déjà dans le Seigneur des Anneaux, elles se fondaient parfaitement à la multitude de points de vues, va-et-vient constant entre le destin de personnages parfois tout petits et le poids d’un monde entier à parcourir. Or, la 3D n’aime pas la brutalité des mouvements. Même Michael Bay s’était forcé à aérer ses plans dans Transformers 3. Les mouvements de caméra brutaux font mal aux yeux, le scintillement fatigue la rétine. En filmant en HFR (c’est-à-dire en 48 images par seconde), Peter Jackson a trouvé la solution. En clair, doubler le nombre d’images pour une seconde de prise de vue fluidifie les mouvements. Finis les flous à cause de changements d’axes trop rapides. Tout est limpide, compréhensible, sans cet effet affreux qui nous obligeait à cligner des yeux. Cela n’a rien à voir avec les télévisions d’aujourd’hui où chaque image est dédoublée. Dans ce cas, une esthétique télénovas se crée, sans que le programme diffusé ne soit conçus pour cela. Pour Le Hobbit, tout est prévu pour rendre l’ensemble élégant. Alors que 80 ans de films en 24 images/seconde ont créé des habitudes, il suffit d’une quinzaine de minutes pour que la rétine se familiarise avec un rendu si neuf. Du coup, l’introduction, aussi énergique soit-elle, semble accélérée. Mais au fond, elle colle bien à l’esprit d’urgence qui émane du récit des nains ayant perdus leur domaine.

Peter Jackson essuie par moment les plâtres et il n’est plus possible de masquer les effets numériques non maitrisés. Plus de blur (du flou volontairement rajouté sur des portions d’images) ou d’effets dans ce genre, tout le harnachement numérique est là. Et comme le réalisateur se lâche sur les effets spéciaux, les quelques effets un peu raté ne passent pas inaperçus. Pour contrebalancer, le gain de fluidité redéfinit la notion d’épique au cinéma. Lors d’une fuite contre des Ouargues (sorte de loups énormes), la communauté de nains prend ses jambes à son cou. Tout est incroyablement lisible et le découpage devient moins prisonnier de la 3D. Ce qui devrait être flou en 24 images/seconde est ici incroyablement net et la profondeur de champ impressionne. L’expérience du spectacle devient hallucinante. Le cinéma pyrotechnique, de James Cameron à Michael Bay, doit puiser dans ce trésor technologique pour l’avenir du cinéma.

Donner corps aux choses

Plus intéressant encore, ce sont les perspectives que cette innovation offre à un cinéma moins grandiloquent qui interpellent le plus. La grande force du Seigneur des Anneaux, c’était d’avoir beaucoup de décors fabriqués, de maquillages faits, et de n’avoir recours aux effets spéciaux que lorsqu’ils ne pouvaient pas faire autrement (ce qui arrivait assez régulièrement). Ainsi, on sentait le bois, la terre, on entendait les métaux résonner, les cors sonner la charge. La chair existait vraiment. Avec le Hobbit, le numérique envahit un peu trop l’espace. Pour autant, les corps prennent une dimension nouvelle. Les peaux sont rajeunies (c’est stupéfiant sur Gandalf et Saroumane), la brillance des pores redonne un peu de consistance. Chose qu’on avait perdu avec le tournage numérique. On ne retrouve pas l’esthétique de la pellicule, mieux, on reforge un rapport à la peau comme jamais on ne l’avait vu. Le visage de Galadriel est éclairé pour rester lisse et doux, manifestation de son immortalité pure. Mais les traits du vieux Bilbon parlent d’eux même. Mieux, les décors réels trouvent leur symbiose avec les créations numériques. Le paradoxe est le suivant : en lissant les textures et en se rapprochant de l’aspect éthéré des images de synthèse, la puissance matérielle des décors retrouve une fraicheur. Ce que l’on perd en crasseux et en ombrageux, on le gagne en brillance, en contraste de couleur. Les pommes reluisent, les assiettes sentent la terre cuite, les armes réfléchissent la lumière. Un nouvel envoutement se fait jour, déstabilisant pour quiconque resterait sur ses repères passés. Ainsi, Le Hobbit atténue la redondance de sa quête par rapport au grand frère sorti il y a dix ans en donnant l’impression de redécouvrir entièrement un monde qui nous était devenu familier.

Devant cette technologie qui ne fait que balbutier, on se met à rêver de nouveaux films où l’immersion serait plus forte encore. On aimerait voir une nouvelle version de La grotte des rêves perdus, déjà incroyable dans sa manière de faire suinter la roche préhistorique. Avec le HFR, on aurait encore plus l’impression d’y être. On rêve aussi d’un Speed Racer, où la fluidité du montage serait encore plus évidente. Que donnerait la Guerre des Mondes avec cela ? Les extra-terrestres prendraient-ils plus place dans la salle ? Plus saugrenu, les corps et les patates de Bela Tarr n’auraient-il pas plus de terre, plus de présence ? Et les corps langoureux chez Harmony Korine dans Spring Breakers ne méritent-ils pas d’être admirés 48 fois en une seconde ? Autant de questions dont il faudra des réponses. Prions pour que les exploitants et les producteurs ne retardent pas l’essor de ce qui ne doit pas être un nouveau formatage mais une option supplémentaire offerte à la création.