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Swans, à la scène comme à la guerre

A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans.

Par Nathan Fournier, le 09-11-2012
Musique
Cet article fait partie de la série 'Semaine Swans' composée de 5 articles. A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans. Voir le sommaire de la série.

La première fois que j’ai pu voir Swans en concert, il y avait deux adolescents au milieu de la fosse, avec de beaux t-shirts aux noms de groupes de black metal quelconques, de longs cheveux noirs et aux visages aussi jeunes qu’attaqués par la dure adolescence.

Sur scène, pas plus grand que ces deux jeunes gens, lui aussi paré de noir, mais aux cheveux plus blancs et à la prestance autrement plus importante, il y avait Michael Gira. Le reste de la salle était silencieux, attendant les prochaines longues minutes de musique que Swans offrirait. Pendant ce court intermède de silence, nos deux jeunes habillés ne pouvaient s’arrêter de crier des noms d’oiseaux et autres provocations aussi idiotes qu’inutiles à Michael Gira. Qui oserait provoquer le grand Gira ? Il répondra simplement à la provocation de trop par un sourire :

« I’m a very good person, you know ».

Le public sourit avec lui. Et Swans repart vers les sommets. Cette anecdote peut sembler inutile, mais elle en dit finalement beaucoup sur Michael Gira, son comportement et sa façon de jouer, de concevoir le live. C’est un autre univers que la vie réelle, une parenthèse pour aller (et emmener) ailleurs.

Concrètement, Michael Gira n’en a que faire de deux jeunots en mal de reconnaissance et imbibés de bière bon marché. Il n’a plus rien à prouver sur scène. Depuis 30 ans, il a prouvé que Swans était une entité faite pour le live, un groupe capable de sortir des canons habituels du concert d’une heure et demi, de la succession de chansons. Mais cette petite phrase inoffensive a, l’espace d’un instant, redonné des contours humains à Gira. Lui, le roc, celui qui dirige cette expérience aux frontières du son. Lui, cet homme intègre aux airs austère. Il est le dernier que l’on provoquerait pour rire, par peur de son aura, de cet indicible pouvoir que chacun de ses mouvements agite sur scène.

Après le concert, il sera un homme comme un autre, remerciant ceux qui osent l’approcher pour lui glisser trois mots. Mais quand il a une guitare entre les mains, il n’est plus humain, il est autre.

Les usages voudraient que j’utilise les mots « possédés », « habités » ou « communion avec la musique » pour décrire Swans sur scène. Mais ces mots ne vont pas assez loin. À choisir, il serait plus question d’une absence totale de compromis et de complicité avec le public. La musique est à prendre ou à laisser, elle est un bloc inamovible à digérer progressivement ou à prendre en pleine face, au choix. Mais qu’importe les réactions, Gira et ses musiciens ne changeront rien. Swans continuera de jouer très fort, les deux percussionnistes continueront ce rythme martial

Sur scène, Michael Gira part à la guerre. La scène est son champs de bataille. Il se transforme peu à peu en général de ses troupes, laissant uniquement tranquille son éternel complice Norman Westberg, impassible sur la droite de la scène. Le visage fermé, aucune émotion ne sort de ses rides. Il gratte mécaniquement sa Telecaster bien loin des mouvements incontrôlés et saccadés du Général Gira, qui arpente l’espace de droite à gauche, du noir dans les yeux et dans la voix.

Les autres musiciens ? Gira les tourmente. Il ne leur laisse pas un seul un moment de répit. Son grand ballet est une machine à peur. Il est ce général intransigeant qui ne tolère pas une seconde le manque d’engagement. D’un seul regard, profond et terrifiant, il pétrifie ses musiciens, il les pousse à jouer mieux, plus fort, plus intensément. Il passe la première demi-heure à aller les chercher, à extirper leur cœur et à briser leurs inhibitions. Ses gestes et ses yeux pénètrent au plus profond des membres pour les pousser jusqu’à la brèche.

On pourrait parler de musique totale, tant, une fois la parade de Gira terminée, il ne reste plus d’espace pour la réflexion. Le son brouille tous les sens, et la musique se ressent plus qu’elle ne s’entend. Les chansons de Swans se voient, se sentent, se touchent et occupent l’air. C’est comme si les ondes se matérialisaient et frappaient ensemble chaque cellule du corps. Le groupe de six devient alors Swans, un tout, une chose unique.

Après avoir assisté à cela pendant deux heures, les deux adolescents n’émettaient plus le moindre râle. Ils se cachaient, soufflés par l’explosion. Michael Gira est sans aucun doute une très bonne personne, mais c’est aussi un meneur d’hommes, capable d’emmener des musiciens aux limites du son comme il mènerait des soldats au front : la peur dans les tripes comme moteur.