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Marcher droit, tourner en rond d’Emmanuel Venet : pléonasmes en dix lettres

Par Guillaume Augias, le 05-10-2016
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2016' composée de 10 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2016. Voir le sommaire de la série.

Atteint du syndrome d’Asperger, le narrateur aborde son récit en jouant cartes sur table. Il prend pour motif les funérailles de sa grand-mère paternelle et plus particulièrement l’oraison ampoulée d’une “dame Vauquelin”, mandée par la paroisse, qui fait le panégyrique d’une femme qu’elle ne connaissait pas. Dès les premières lignes, tout est là, dans l’incompréhension qu’il exprime vis-à-vis d’une société qui lui est entièrement opposée, lui qui est incapable non seulement de mentir, mais aussi de feindre, de transiger ou de lésiner, ce qui lui vaudra au-delà des quolibets de vrais ennuis judiciaires. On lui fait comprendre qu’il est inadapté, mais inadapté à quoi ? À quel monde ?

Est-ce adapté de vouloir « à la fois abattre les dictatures et vendre aux tyrans des armes pour équilibrer notre balance commerciale ; produire plus de voitures et diminuer les émissions de gaz d’échappement ; supprimer les fonctionnaires et améliorer le service public ; restreindre la pêche et manger plus de poisson ; préserver les ressources en eau douce et saloper les aquifères au gaz de schiste » ? Non, bien sûr. Mais parce qu’il pointe tout cela sans relâche, le narrateur désormais quadragénaire aura été traité tantôt de simplet, tantôt d’arrogant et à vrai dire il arrange le plus grand nombre d’assimiler son autisme à du retard mental. Pourtant on croit savoir que quand le sage pointe la lune, l’idiot regarde le doigt. Non l’inverse. Le fil de ce récit, sans chapitre ni paragraphe, dessine les contours ambigus de la normalité.

Dans un style fluide et précis, Emmanuel Venet place bout à bout des étonnements teintés d’amertume et dont il ressort que le monde a besoin de se persuader à tout crin qu’il marche dans le bon sens, sans s’apercevoir que les mots et les actes mis en œuvre pour ce faire sont dépourvus de sens. Les portraits que le narrateur brosse des membres de sa famille ont le coupant du scalpel. Personne n’est vraiment épargné, ni ses parents, ni ceux qui le soutiennent, ni lui-même. Mais il ne s’agit pas d’autant de procès à charge. Son amour de la vérité et sa grande lucidité font aussi de ces portraits, paradoxalement, des gestes d’affection et une quête inébranlable de la réconciliation envers et contre tout.

Le fil de ce récit, sans chapitre ni paragraphe, dessine les contours ambigus de la normalité. 

Amoureux transi d’une camarade de lycée devenue ce que les clichés rendront par aspirante starlette et mère courage, il est incapable de traduire la sincérité de son amour simple et dévoué. Celui-ci sera transformé par l’environnement de l’auteur en une prédation perverse, le laissant exsangue et brisé. Il trouve refuge dans les listes – catastrophes aériennes remarquables, mots rapportant le plus de points au scrabble, capitales du monde entier, personnalités dont le nom et le prénom commencent par la même lettre -, dans ce que les listes peuvent avoir de rassurant, de ressassant et d’invariant. Il trouve des alliés de circonstance (son père, un grand-père, un oncle par alliance) mais ceux-là ne peuvent l’accompagner qu’un temps, pris soudain par l’inconséquence, le ressentiment ou la mort.

 La vie de cet authentique anti-héros et le monde qui l’entoure, vus à travers le prisme d’une écriture aussi sûre que son être l’est peu, sont une sorte de diorama mental. Une reconstruction. Retranché dans sa chambre d’où il peut tranquillement assouvir ses nombreuses passions et obsessions sur Internet, il est cette personne qui croit le plus en nous et en qui nous croyons pourtant le moins, car croire en lui nous fait mal. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, cependant lui se les répète et n’attend rien de nous. Le lire devient alors une forme d’acte de résistance. Une rébellion pour cette part de nous-mêmes trop souvent réduite au silence.