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De 1960 à 1984, Les Abattus de Noëlle Renaude chronique la vie d’un homme, de ses jeunes années au début de sa vie d’adulte, dans une ville de province française. Issu d’une famille malheureuse où les conflits débouchent au mieux sur la fuite, au pire sur la mort, le personnage principal, taiseux, encaisse les événements sans broncher, sans se plaindre, sans s’apitoyer sur son sort. Il n’évolue pas. C’est le monde autour de lui qui change : la France et la ville qui mutent pour entrer dans la modernité ; les mœurs qui offrent de nouveaux champs de liberté ; les crimes qui s’immiscent de plus en plus dans le réel, au point de voir la vie du héros entrer en collision avec des faits divers, des braquages et des disparitions.

Le personnage principal n’a pas d’emprise sur son milieu. Issu d’une classe modeste, il ne peut rien faire pour changer drastiquement son existence. Il peut seulement espérer tracer son chemin, sans faire de vague. Quand les crimes se produisant dans son entourage cannibalisent sa destinée, il reste d’abord un spectateur, un témoin que l’on interroge. Quand il essaye de prendre en main la situation, de passer au premier plan, sa décision se retourne toujours contre lui. Comme s’il ne servait à rien de se débattre, comme si le système était plus puissant que soi.

Les meurtres semblent découler du hasard, les disparitions, avoir des explications rationnelles. La majorité du temps, on ne sait pas si tout va s’imbriquer ou dévoiler le non-sens de l’existence, la prédominance du hasard et des accidents de parcours. Pourtant, à aucun moment, il ne s’agit pour Noëlle Renaud de jouer avec le lecteur ou la lectrice, de s’amuser à les perdre, à les mener en bateau pour mieux les prendre à revers. Non par ce jeu entre le hasard et le prémédité, l’autrice créée avant tout un questionnement sur la nécessité ou non de se battre contre la fatalité inhérente à sa classe sociale. Cet usage de la fausse piste se retrouve au niveau même de l’écriture. On ne sait pas où nous emmène le roman, dans quel genre il s’inscrit : est-ce une chronique sociale, une comédie humaine ou un pur polar avec des enquêtes, des crimes et des coupables ?

L’écriture, froide, factuelle, pleine de détails et d’informations, confère au roman une force sociale

L’écriture, froide, factuelle, pleine de détails et d’informations, confère au roman une force sociale dans la description de la vie des couches populaires. Mépris de la part des mieux lotis, jalousie face à ceux qui s’en sortent mieux que soi, difficultés à échapper à la misère, Les Abattus illustre parfaitement comment certains restent aux bornes des évolutions économiques et de la modernité. Malgré cet aspect sérieux, quasi documentaire, Noëlle Renaude insère un soupçon de cynisme dans certaines phrases, un léger décalage, à la manière de Jean Echenoz, qui sert de regard sur les situations et génère des moments proches de la drôlerie – Renaude se permet même de s’adresser directement au lecteur dans la seconde partie.

Premier roman de Noëlle Renaude, autrice de pièces de théâtre, Les Abattus est une réussite totale, qui offre une structure originale, un style affirmé et un scénario truffé de détails, dont les dernières pages confirment toute l’intelligence.