L’homme sous l’orage de Gaëlle Nohant : Le soldat et le peintre
Publié le 21 août aux éditions L'Iconoclaste
1917. Théodore, un peintre mué par la création, des idéaux esthétiques et des amitiés artistiques, voit sa conception de l’existence s’effondrer lorsqu’il se retrouve convoqué pour la Grande Guerre. Face à l’horreur, il déserte les combats, et tente de trouver refuge dans un domaine viticole, du sud de la France, où il avait noué une relation intime et platonique avec Isaure, mécène et maîtresse des lieux. Quand elle le rencontre sur le pas de sa porte, Isaure, dont le mari et le fils sont au front, chasse le déserteur, choquée par sa lâcheté. Rosalie, sa fille de 19 ans, assiste à la scène. Quelque chose bascule chez elle face à cet homme fragile. Rosalie se convainc que Dieu ne veut pas laisser cet homme souffrir sous la pluie. Elle le fait pénétrer en secret dans la demeure et le cache au grenier.
L’homme sous l’orage de Gaëlle Nohant raconte la trajectoire de quatre personnages qui refusent la place que la société leur impose : Théodore veut fuir les guerres décidées par ceux qui ne se battent pas ; Isaure réfute sa condition de maîtresse de maison pour prendre, en l’absence de son mari, la direction du domaine et contribuer à la prise en charge des blessés de guerre ; Rosalie est prête à se détourner d’une vie de châtelaine toute tracée pour vivre le grand amour ; tandis que Marthe, une des bonnes du château, qui va découvrir qui se cache au grenier et faire chanter Rosalie, fera tout pour s’extraire de sa condition.
Inspiré par un des lieux d’enfance que fréquentait l’autrice, L’homme sous l’orage est un huis clos romantique et tragique où les protagonistes, issus de classes sociales et de générations différentes, confrontent leurs désirs et leurs conceptions de l’existence. Isaure soigne les blessures physiques, mais prive de son aide un homme aux plaies psychologiques. Rosalie et Marthe luttent chacune pour leur émancipation, émotionnelle pour l’une, financière pour l’autre. Ces trois femmes, toutes fortes à leur manière, soulignent combien l’absence des hommes, partis au combat, et de la domination masculine associée, créent des espaces libératoires.
Théodore, cet homme caché, fait lui écho à d’autres guerres, à d’autres fugitifs, à d’autres traques ; tirant un lien sous terrain avec Le Bureau d’éclaircissement des destins, le précédent roman de l’autrice, sur les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. Ici la clandestinité ouvre une autre voie. Elle n’est pas qu’un lieu de désolation, dévoré par l’attente de l’arrestation à venir. Elle est aussi le lieu de l’amour.
L’homme sous l’orage, c’est à la fois l’humain confronté au chaos du monde, à ces batailles où des soldats trempés par la tempête dorment dans la boue, mais c’est aussi spécifiquement ce peintre, qui contemple la pluie qui tombe depuis la lucarne du grenier où il s’est réfugié. Il n’y a pas d’un côté le soldat ruisselant, craignant pour sa vie, et l’artiste déserteur, pour qui l’existence a perdu tout son sens. Le soldat et le peintre sont la même personne, le même homme sous l’orage.
Il en résulte une romance tragique et politique, pleine d’ambiguïté et de regards sur le monde. Il faut voir comment Gaëlle Nohant met en scène la haine du peuple à l’encontre des déserteurs, des hommes qui, de notre point de vue contemporain, font preuve d’humanité et non de lâcheté. L’homme sous l’orage est l’œuvre d’une autrice au sommet de son art, et en maîtrise totale de sa pratique. Une œuvre d’une précision folle : précision historique (on sent derrière chaque description le travail de recherche et le pistage de la moindre approximation), précision littéraire (une langue douce et ciselée, qui accroît le souffle romanesque) et précision émotionnelle dans les enjeux propres à chaque personnage. Une merveille.