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Et toute la vie devant nous d’Olivier Adam : La sincérité envers et contre tous

Publié le 20 août 2025 aux éditions Flammarion

Par Benjamin Fogel, le 21-10-2025
Littérature

Toute la vie de Paul, Sarah et Alex de 1985 à 2025. Un trio, lié par un traumatisme d’enfance dont ils ont gardé le secret, qui s’autoproclame « les inséparables », mais qui ne cesse de s’éloigner, puis de se rapprocher, dans un mouvement similaire à celui d’une marée.

Le triangle amoureux est un des sous-genres phares du drame romantique. Olivier Adam le mélange ici avec un autre genre, celui du roman social, qui raconte la transition d’un milieu à un autre, où s’entremêlent cités, résidences pavillonnaires et quartiers bourgeois. Les deux approches s’imbriquent naturellement sans jamais se cannibaliser, évoquant à la fois la richesse de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu et la sincérité émotionnelle des films de Christophe Honoré, avec qui Olivier Adam partage le goût des références culturelles, savamment utilisées pour décrire les personnages ou faire avancer l’intrigue.

De l’impossibilité d’être un transfuge de classe

Paul, Sarah et Alex se rencontrent dans l’allée qui sépare leurs maisons, dans un quartier peuplé par une classe moyenne, où l’on retrouve aussi bien ceux qui ont péniblement réussi à s’extraire de la pauvreté, et ceux originellement plus aisés qui ont vu leur pouvoir d’achat s’effondrer à cause des crises économiques. Des classes moyennes qui vivent dans des pavillons de banlieue modestes, à proximité des cités, mais aussi de belles maisons de la petite bourgeoisie. À l’adolescence, en raison de leur proximité géographique, les frontières entre ces différents mondes sont poreuses. Tout semble encore possible pour les trois adolescents. Olivier Adam décrit alors comment les gouffres se créent, avec d’un côté le mépris des plus riches – lors d’une scène dans un parc huppé – et de l’autre le sentiment de trahison des plus pauvres – avec une soirée où s’incrustent des connaissances qui habitent dans une tour à côté. Quand Paul, Sarah et Alex sont surnommés « Les inséparables », c’est une question d’instinct grégaire, tant ils ne pourront jamais trouver leur place ailleurs : écrivain à succès, Paul se réfugiera en Bretagne pour une vie loin des amitiés littéraires ; Sarah quittera un mari fier de sa réussite et complaisant avec les idées les plus à droite ; Alex compromettra sa carrière par rejet de la bourgeoisie.

Le roman traverse les évolutions sociales et les affres qui hier étaient tus

En cela, Et toute la vie devant nous traite du refus de changer de classe, de l’impossibilité d’être un transfuge, au-delà des apparences. Ici le milieu originel n’est pas un lieu à fuir, mais un lieu vers lequel on revient sans cesse, comme en pèlerinage, animé par un sentiment de nostalgie, mais aussi de crainte. Chacun échoue à s’émanciper. Alex devient ce qu’il dénonce. Sarah s’avère être, au fond d’elle, ce qu’elle tente d’enfouir, à savoir une femme sous l’emprise d’hommes toxiques. Quant à Paul, il se trompe sur lui-même, enfermé dans un romantisme égocentré.

Au fil de quatre décennies, le roman traverse les évolutions sociales et les affres qui hier étaient tus : l’homophobie, l’anorexie, la domination des prédateurs… C’est un texte sur la désillusion et la résignation, rappelant que l’existence humaine se résume souvent à avoir des rêves, puis à accepter qu’ils ne se réalisent pas.

Fidèle à sa bibliographie, Olivier Adam met en scène des déclinaisons de Paul et Sarah, protagonistes dont il ne cesse de réinventer les vies. La persévérance avec laquelle l’auteur poursuit son œuvre, sans changer son fusil d’épaule, creusant le même sillon, avec acharnement, pour gratter chaque fois une nouvelle couche, est particulièrement touchante. Surtout, il le fait sans cynisme. On sent qu’Olivier Adam n’attend plus rien de sa « carrière », qu’il persiste par nécessité, heureux de pouvoir continuer d’écrire, trouvant son ambition non pas dans le succès, mais dans l’humilité et la sincérité.

La sincérité est la clef de voûte du roman

Cette sincérité est la clef de voûte du roman. À travers les mots prononcés par Alex à l’encontre des romans de Paul – « Il fait tout pour qu’on le confonde avec son héros. Pour que le lecteur pense que tout ce qu’il raconte, c’est du vécu. En partie au moins. C’est tellement roublard » –, l’auteur illustre les reproches que l’on peut faire à sa propre œuvre. Cette technique de l’écrivain se servant à lui-même les critiques les plus acerbes pour les désamorcer peut agacer tant elle est manipulatrice. Mais il ne s’agit pas de cela dans Et toute la vie devant nous. Olivier Adam n’a de compte à rendre à personne. Ces critiques, on les lui a déjà adressées. Il ne se les réapproprie pas. Il les met en scène pour prendre lui-même du recul sur son œuvre, et faire ce pas de côté qui permet à l’écrivain d’observer ses failles via un autre angle, celui d’un de ses personnages. Il s’avère alors particulièrement lucide quand il dénonce la manière dont l’écriture peut transformer les traumatismes d’autrui en sujet artistique, en reléguant au second plan le souci de réparer les victimes.

D’un point de vue stylistique, narratif et intellectuel, Et toute la vie devant nous est le travail d’un écrivain en pleine possession de ses moyens, qui construit son œuvre envers et contre tous, avec, encore une fois, une belle sincérité.