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Paulina (La Patota) : la tête haute

Présenté à la Semaine de la Critique le 15/05/2015. Durée : 1h43.

Par Thomas Messias, le 15-05-2015
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2015' composée de 14 articles. En mai 2015, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette pour une série de textes couvrant tout autant la sélection officielle que les sélections parallèles. Voir le sommaire de la série.

Pour réaliser son deuxième long-métrage après El Estudiante, Santiago Mitre est allé puiser son inspiration en 1960, année de sortie de La Patota, film de Daniel Tinayre dont il se réclame ouvertement. Le film étant impossible à voir depuis de nombreuses années, y compris en Argentine, il est hélas difficile d’établir si Paulina peut être considéré ou non comme un véritable remake. Mais le fait que Mitre soit remonté plus d’un demi-siècle en arrière est révélateur à plus d’un titre.

Le principal défaut du nouveau cinéma argentin est désormais bien identifié : après avoir exploré en profondeur les ruines de son passé à travers des films flirtant souvent avec l’autobiographie, de nombreux cinéastes semblent peiner à regarder vers l’avenir, continuant à regarder d’où ils viennent au risque de sombrer dans la rengaine. Un piétinement que Santiago Mitre semblait vouloir éviter, lui qui dès El Estudiante semblait vouloir se démarquer. Très ancré dans l’époque actuelle, le film n’évoquait le passé et la dictature que pour justifier la soif de démocratie avec laquelle universitaires et étudiants se livraient à une ardente lutte pour le pouvoir. Paradoxalement, Paulina opère le choix inverse : pour aborder des thématiques qui n’ont jamais été aussi traitées qu’en ce début de siècle, le film s’empare d’un matériau ancien. Cette fois, il n’est pas question de dictature, mais de prise en charge des classes défavorisées ainsi que de féminisme. Juxtaposer remake supposé et manque d’inspiration serait un raccourci bien paresseux ; en revanche, le parti pris de départ de Mitre témoigne une fois encore de l’incapacité des jeunes cinéastes argentins à se détacher totalement de leurs aînés.

La fin de l’oppression patriarcale n’est pas pour demain.

Qu’un film aussi féministe aille repêcher une problématique posée 55 ans plus tôt revêt aussi du sens quant à l’avancée des combats féministes en question. Poser les mêmes interrogations en 1960 et en 2015, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en avant l’absence claire de solutions, c’est donner corps à cette thèse selon laquelle la fin de l’oppression patriarcale n’est pas pour demain. Inconsciemment, le propos de Paulina est là : dans cinquante années, il arrivera les mêmes horreurs aux femmes, et la société n’aura guère plus de solutions à proposer pour prévenir ou guérir ces atrocités.

Le postulat de Paulina laisse entrevoir un potentiel à la Esprits rebelles, Michelle Pfeiffer et la tonalité hollywoodienne en moins : une jeune femme issue d’une famille bourgeoise, promise à une brillante carrière d’avocate, décide de tout plaquer pour aller enseigner à des jeunes défavorisés. Ce choix fait frémir un petit ami sceptique, et surtout un père consterné, magistrat de renom qui pensait avoir mis toutes les chances de son côté pour que sa fille emprunte sa prestigieuse voie. Le film s’ouvre sur un long plan-séquence dans lequel s’opposent les points de vue de Paulina et de son père, à la fois animés par leurs convictions respectives, les liens du sang qui les encombrent, et le plaisir sans cesse renouvelé de s’adonner à des jeux rhétoriques.

Dans sa première demi-heure, Paulina ressemble à une version réussie (ou en tout cas prometteuse) d’Elefante blanco, film de Pablo Trapero présenté à Cannes en 2012, dans lequel un jeune prêtre idéaliste débarquait en plein bidonville pour y découvrir l’horreur de la situation et l’impossibilité de changer durablement les choses malgré une volonté de fer. Dans sa mise en scène (tonique et humble) comme dans sa description du lien social peinant à se tisser entre l’héroïne et ses protégés, Mitre se montre clairement supérieur à Trapero. Sans pour autant souhaiter s’arrêter là.

Le sujet du film est loin de se résumer à une simple affaire de reconversion et d’éducation : assez vite, Paulina est victime d’une agression nocturne de la part d’un gang de rue (patota), dont deux des membres la violent. Loin de prendre ce lourd traumatisme comme le signe qu’elle s’est trompée de destin, la jeune femme décide de rester sur les lieux, de continuer à enseigner, et de retrouver ses agresseurs, moins mue par un désir de vengeance que par le soin de comprendre le pourquoi de leurs actes.

Il s’agit moins de justifier les actes et les raisonnements du personnage que d’expliquer que personne ne devrait la juger.

De part en part, Paulina s’échine en fait à dépeindre le combat mené par une femme pour obtenir son indépendance. Tuer le père en se détournant de lui, quitter sa zone de confort, prendre chaque décision en son âme et conscience, en dépit du jugement des autres. Dans le regard déterminé de l’actrice Dolores Fonzi, on lit ce besoin obstiné de faire sauter entraves et bâillon, de s’affranchir de ces hommes qui exercent leur domination sur elle sans toujours en avoir conscience. À plusieurs reprises, Paulina prendra des décisions difficiles à comprendre ou à accepter, pour celles et ceux qui l’entourent comme pour les spectateurs. Dans le dossier de presse du film, Santiago Mitre affirme lui-même ne pas avoir cherché à comprendre chacun des choix de son héroïne, comme si elle avait fini par s’émanciper de tout, y compris du processus de création. Cette idée est au coeur du film : il s’agit moins de justifier les actes et les raisonnements du personnage que d’expliquer que personne ne devrait la juger.

À l’issue de débats à couteaux tirés, la conclusion énoncée par Paulina est limpide et explicite : personne ne devrait dire à une victime de viol ce qu’elle devrait faire et comment elle devrait penser. Sur le fond, le film affiche ces convictions avec courage et sans fléchir. Dommage que sur la forme, le film finisse par avoir l’air de tourner en rond, la mise en scène ayant tendance à se flétrir et les discussions à sombrer plus d’une fois dans l’écueil du didactisme et de le redondance. Une fois le titre du film enfin apparu à l’écran, un ultime plan-séquence montre Paulina arpentant une route escarpée, regardant la caméra avec intensité avant de finir par s’en détourner. Sortir de scène la tête haute et gérer seule son processus de résilience : beau programme.