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Allende mi abuelo Allende : fendre l’armure en vain

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs le 17/05/2015. Durée : 1h37.

Par Thomas Messias, le 17-05-2015
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2015' composée de 14 articles. En mai 2015, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette pour une série de textes couvrant tout autant la sélection officielle que les sélections parallèles. Voir le sommaire de la série.

Connaître les principaux rouages des comités de sélection des festivals de cinéma, c’est comprendre que choisir des films n’est pas un métier de tout repos, en particulier dans le cas de mastodontes tels que le rendez-vous cannois du mois de mai. Ça fonctionne au coup de coeur, à l’intuition, ça regarde les films par tranches quand les deadlines se rapprochent, ça s’écharpe, ça négocie. Le processus de sélection de chaque film ressemble à une grossesse à problèmes, se terminant par un accouchement pouvant tout autant être vécu comme une libération que comme une torture.

De ce point de vue, il est bien difficile d’imaginer comment un film tel que Allende mi abuelo Allende est parvenu à passer entre les mailles du filet pour atterrir au sein de la sélection 2015 de la Quinzaine des réalisateurs. Non pas qu’il soit particulièrement nul ou totalement scandaleux, au contraire : c’est juste un documentaire de facture lambda, dont le visuel se rapproche de celui de n’importe quel docu réalisé par quelqu’un pour qui faire du cinéma n’est apparemment pas un sacerdoce, et dont le contenu, bien que pas tout à fait dépourvu d’intérêt, n’a pas de quoi faire se relever la nuit. Sans se livrer à une tentative d’investigation qui serait de toute façon bien vaine, et en ayant conscience qu’il s’agit là d’un pur procès d’intention, ce genre de film un peu passe-partout semble avoir été choisi pour des raisons qui vont au-delà du simple critère qualitatif (désir ou nécessité de respecter certains quotas ?).

Allende mi abuelo Allende cherche plutôt à fendre l’armure sous laquelle se dissimule l’intégralité du clan familial.

Resituons : le 11 septembre 1973 en milieu de journée, le président chilien Salvador Allende se suicide à l’intérieur du palais présidentiel, encerclé par les putschistes dirigés par le général Augusto Pinochet, à l’origine d’un coup d’État militaire initié le matin même. Pour sa première réalisation, Marcia Tambutti Allende (petite-fille de) n’entend pas jouer les professeures d’histoire : loin de raconter en détail les quatre ans de présidence et la fin tragique de celui qu’on surnommait Chicho, Allende mi abuelo Allende cherche plutôt à fendre l’armure sous laquelle se dissimule l’intégralité du clan familial. Si les descendants et descendantes d’Allende ont pour beaucoup passé leur existence à promouvoir les idées défendues par leur maître à penser, leur refus apparent d’évoquer sa vie intime a mis la puce à l’oreille de la réalisatrice. Ressortant des vieilles photographies enfouies et cuisinant chaque survivant de la famille, elle livre le récit de ses investigations, quitte à avouer que celles-ci ne l’ont pas menée aussi loin qu’elle l’aurait souhaité.

C’est d’ailleurs là que réside le principal intérêt du documentaire, qui entendait aller au-delà (allende en espagnol, d’où le titre) des apparences : constater le semi-échec de l’enquêtrice. Là où d’autres se seraient heurtés à des portes closes, Marcia Tambutti Allende pensait pouvoir profiter de son statut de membre de la famille pour soutirer des révélations à ses proches. Finalement, un grand nombre de scènes se déroule de la même façon : découverte ou redécouverte de vieux clichés, évocation un peu vague du passé, puis mutisme partiel ou absolu dès qu’une question tente de percer la carapace de l’intime. Le documentaire aurait été mille fois plus fort s’il s’était pleinement assumé comme le récit d’un échec ; il reste hélas dans un entre-deux coupable, la réalisatrice n’étant rien d’autre que la relayeuse passive du refus des siens d’évoquer leurs souvenirs du patriarche.

L’impression d’un produit sans forme, sans saveur et sans réel point de vue.

Le film ne dissèque pas la période 1970-1973 au cours de laquelle Allende fut président, ni même les années qui le menèrent à ce poste suprême ; mais puisqu’il n’apporte pas non plus d’immenses révélations sur la personnalité et la vie personnelle de Chicho, la méconnaissance de l’histoire du Chili n’est pas rédhibitoire. Ce qui importe, c’est cette description patiente du silence qui entoure la vie d’Allende, et le tabou qui entoure sa mort ainsi que celle de plusieurs de ses proches. Quatre ans après le décès du président, sa fille Tati se donnait la mort avec une arme appartenant à son mari ; encore quatre années pus tard, sa soeur Laura se suicidait à son tour. Virus suicidaire ou lourd secret de famille ? Marcia Tambutti Allende sait que quelque chose ne tourne pas rond. Sa démarche ne lui apportera guère de réponses, ce qui n’aurait pas empêché Allende mi abuelo Allende d’être follement passionnant s’il avait eu un peu de relief cinématographique. Tel quel, ses allures de long reportage télévisé ont plutôt tendance à renforcer l’impression d’un produit sans forme, sans saveur et sans réel point de vue, bout à bout d’images qu’il aurait fallu retravailler en profondeur pour obtenir un objet enfin digne d’intérêt.

À propos des comités de sélection cannois :
[1]   L’année où j’ai vu 400 films pour la Semaine de la critique (par Pierre Murat)
[2]   Semaine de la critique 2015 : le marathon de la sélection raconté par son délégué général (par Aurélien Ferenczi)