Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

La Tête haute : montagnes russes

Film d'ouverture du festival de Cannes 2015. Présenté le 13/05/2015 hors compétition. Durée : 2h00.

Par Thomas Messias, le 15-05-2015
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2015' composée de 14 articles. En mai 2015, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette pour une série de textes couvrant tout autant la sélection officielle que les sélections parallèles. Voir le sommaire de la série.

Il y a deux ans, en ouverture de la Semaine de la Critique, Katell Quillévéré présentait Suzanne. Suzanne, c’était cette jeune femme inconséquente incarnée par Sara Forestier, prête à tout laisser derrière elle par amour, y compris un enfant en bas âge. La cinéaste filmait non seulement la fuite en avant de son héroïne, mais également les conséquences de ses actes irréfléchis et égoïstes sur des proches contraints de mettre leurs propres existences entre parenthèses pour permettre à un petit garçon de mener une enfance aussi normale que possible. Ce qu’il y avait d’étonnant dans le film, c’est que le gamin en question ne semblait pas souffrir outre mesure de l’égoïsme de son irresponsable de mère. Parce que oui, c’est miraculeux, mais cela arrive : certains êtres humains parviennent à se relever sans trop de heurts des pires atrocités.

Le film d’Emmanuelle Bercot pourrait être un spin-off de celui de Quillévéré.

Le film d’Emmanuelle Bercot pourrait être un spin-off de celui de Quillévéré, notamment parce que Sara Forestier y incarne un double du personnage de Suzanne : une mère flanquée très tôt de deux fils de pères différents, incapable de les élever correctement, et notamment prête à se détourner de son aîné, Malony, qu’elle considère ouvertement comme un petit démon voué à ne rien faire de son existence. Dans la première séquence du film, cadrée à hauteur d’enfants, un face-à-face entre cette femme et la juge qui gère son dossier (Catherine Deneuve, absolument impériale) débouchera sur l’abandon du petit Malony dans le bureau de la magistrate par sa mère incapable de contrôler ses paroles comme ses actes. Tout calme mais visiblement très atteint, le gamin ne manque visiblement que d’une chose : de l’amour. Père décédé, mère dépassée, Malony va se retrouver contraint de s’éduquer tout seul. Sauf que, contrairement au fils de Suzanne, qui bénéficiait en outre du dévouement d’un grand-père (François Damiens) et d’une tante (Adèle Haenel), lui n’a personne sur qui compter.

Après cette introduction, La Tête haute bascule. Malony a désormaiq 15 ans et des poussières, et se livre à un rodéo urbain avec accélérations bruyantes et demi-tours au frein à main. À l’arrière, sa mère, hilare, ainsi que son jeune frère Tony. Il n’en faut pas plus pour saisir le manque total de contrôle de l’existence des ces gens-là, incapables de respecter les règles, incapables de ne pas se mettre en danger. Bercot raconte le tumultueux chemin de l’adolescent vers l’âge adulte, marqué par des hauts, des bas et surtout des rencontres. Il y a cette juge qui ne le lâchera jamais, mêlant fermeté et bienveillance avec une assurance de façade lui permettant de dissimuler son désarroi ; et il y a cet éducateur qu’on devine écorché, qui tente d’apprivoiser la bête pour tenter par la suite de lui offrir une vie moins tapageuse.

Ce que filme Bercot, c’est l’absence de solutions.

Ce que filme Bercot, c’est l’absence de solutions. Quand Malony tente de se racheter une conduite et de se réinsérer dans le système scolaire, il se heurte à une principale de collège extrêmement peu conciliante. Le jeune homme, qui écrit comme un enfant de six ans, aurait besoin d’une machine à remonter le temps et de revivre la décennie passée pour tenter de grandir plus sereinement et d’aller à l’école plus que quelques heures par ans. Mais c’est impossible. Alors Malony erre de centre en centre, qu’on lui décrit à grands coup d’acronymes comme si quelques lettres allaient radicalement changer son existence. Sa volonté d’entrer dans la vie active est elle aussi un échec : à l’âge de seize ans, impossible de travailler pour gagner sa vie, et surtout, impossible de choisir son domaine professionnel. On entend cette phrase terrible dans le film, émanant de cette juge qui a bien conscience de dire une horreur : « Attends d’avoir dix-huit ans ». Parce qu’on ne sait pas quoi faire de lui, on demande à ce gosse ingérable (par les autres comme par lui-même) de se mettre en parenthèses pendant deux ans. De disparaître des écrans radar et de revenir quand on pourra l’aider. Terrible aveu d’échec de la part d’un système éducatif qui fait ce qu’il peut mais n’a pas réponse à tout.

Le parcours de l’ado est assez passionnant, traversé de moments d’espoir et de violentes crises de nerfs lorsque la société refuse de lui ouvrir des portes. Le vrai souci de La Tête haute, c’est qu’il semble manquer d’un point de vue clair sur cet ado et sur ce que la France peut ou doit lui apporter. Parce qu’ils sont mus par la colère, les personnages de Bercot parlent beaucoup, disent beaucoup de conneries aussi. Des adolescents de couleur accusent le système judiciaire de favoriser Malony parce qu’il est blanc, ce dernier affirmant un peu plus tard être victime de racisme anti-blanc (ce qui, rappelons-le, n’existe pas). L’éducateur brillamment joué par Magimel sort de ses gonds, se montre violent, et lui fait un speech maladroit à base de France qui se lève tôt et de « Quand on veut, on peut ». Par la suite, il dira regretter d’avoir ainsi pété les plombs. Le problème est le suivant : en se gardant bien de porter un jugement sur la plupart de ses personnages, Bercot les laisse dire ce qu’ils entendent mais ne semble jamais ni soutenir ni condamner leurs propos. Et si elle affiche à raison son admiration pour des professionnels qui ne font pas toujours bien mais qui font au moins ce qu’ils peuvent, elle semble en revanche mue par un énorme mépris pour la mère incarnée par Sara Forestier, le personnage le plus problématique du film.

Un discours peut-être inconscient sur la France des assistés, les fameux « sans dents ».

Contrairement à ce qui se produisait dans Suzanne, l’actrice y est allée à fond dans le côté Actors Studio. Cheveux sales et dents gâtées : il fallait sans doute au moins cela pour camper la déperdition totale d’une femme sans cervelle et sans cœur. La prestation too much de l’actrice (qui se rattrape de temps à autres au détour d’une scène émouvante) finit par en faire non seulement un personnage détestable (pourquoi pas), mais aussi et surtout quelqu’un dont il est acceptable de se moquer. Elle multiplie les propos consternants avec une assurance ridicule, elle énonce des principes de vie qu’elle est la première à ne pas respecter, elle se comporte comme une gamine dans le bureau des adultes responsables qu’elle doit rencontrer pour suivre le dossier de son fils… On sent poindre derrière tout cela un discours peut-être inconscient sur la France des assistés, les fameux « sans dents » (expression attribuée à François Hollande par Valérie Trierweiller) qui pourrissent le pays tant ils sont bêtes et sans limites.

De même, le dernier plan du film pose question. Pour la première fois, on y entrevoit le fronton du palais de justice où Malony (on allait oublier de citer Rod Paradot, aussi vrai que nature) avait coutume de rencontrer la juge. Un drapeau français trône fièrement là, surplombant l’ensemble, et l’insistance de ce plan semble vouloir indiquer que le jeune homme devrait remercier son beau pays pour l’aide apportée, que la France s’est saignée à blanc pour lui (le coût des jeunes délinquants pour le pays est abordé à plusieurs reprises dans le film)… Un discours ambigu qui laisse planer le doute quant aux véritables intentions d’Emmanuelle Bercot, qu’il vaut mieux considérer comme une observatrice neutre de l’évolution de son jeune héros plutôt que comme une cinéaste militante. Sous peine de commencer à avoir quelques boutons.