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Histoire du lion Personne de Stéphane Audeguy : Felix Leo

Par Guillaume Augias, le 26-09-2016
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2016' composée de 10 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2016. Voir le sommaire de la série.

Avec son premier roman paru en 2005, La Théorie des nuages, Stéphane Audeguy aura marqué les esprits par son sens de l’érudition douce et la science qui est la sienne pour mêler au savoir des êtres de chair et de sang. En effet, rares sont ceux qui auraient relevé le pari de rendre romanesque une chronologie de la discipline météorologique et de faire de ses lecteurs conquis des guetteurs, en toute occasion, de la forme nuageuse. Après avoir été à la tête de la prestigieuse NRF de 2011 à 2014, Audeguy rejoint aujourd’hui les éditions Seuil pour ce cinquième roman, Histoire du lion Personne, dont le titre ternaire est, à l’instar de ses trois parties d’égale longueur, un modèle d’équilibre.

Histoire. « On peut tout faire, excepté l’histoire de ce que l’on fait », disait Godard. Sur la quatrième de couverture, Audeguy l’indique : « Il est absolument impossible de raconter l’histoire d’un lion (…) Cependant, rien ne nous empêche d’essayer. » Et cette tentative, il la fait par petites touches, sans jamais se montrer démonstratif, dans un savant équilibre entre description et évocation. À l’aide de trois récits successifs, du fin fond de la savane aux remous du fleuve Sénégal, puis sur les flots de l’Atlantique Nord jusqu’à la vallée de l’Eure, il dresse le beau portrait d’un animal sauvage hors de son milieu naturel. Les contours de ce portrait se précisent à mesure que l’on suit le parcours des humains qui l’auront sédentarisé, dans l’enclos d’une compagnie coloniale ou celui d’une ménagerie royale devenue nationale.

On trouve chez Audeguy, comme chez les plus grands, une poésie de l’onomastique, un art de nommer.

Du lion. C’est bien lui qui est au centre du livre, un lion qui a véritablement existé à la fin du XVIIIème siècle, tout autant que les autres protagonistes du roman. Ce qui se passe au dehors – colonisation, traite négrière, trafic d’ivoire, jeux de pouvoir, famine et révolution (« Pendant l’été 1789, des humains s’agitèrent ») – est un cadre qui semble là pour rendre la vie de la bête plus crédible, afin que nous nous attachions davantage à son destin. À voir ainsi évoluer les hommes – leurs intrigues et leurs amours interdites, leur bêtise violente et leur détresse – au travers des yeux du fauve, on pense à la simplicité et au tendre regard d’un Hubert Mingarelli (auteur entre autres du Jour de la cavalerie). Les mots qu’emploie Audeguy pour décrire la tristesse du lion, à la fin du roman, sont d’une infinie justesse.

Personne. On trouve chez Audeguy, comme chez les plus grands, une poésie de l’onomastique, un art de nommer. Ainsi Personne (« Kena » en wolof) est-il le prénom odysséen donné au lion – plutôt que Simba qui signifie « Lion » –, par un jeune garçon prénommé Yacine mais que les Blancs ont baptisé… Baptiste. Plus tard, Personne se lie d’amitié avec un braque tacheté, vite nommé Hercule pour son caractère intrépide et qui deviendra inséparable du lion, lui permettant de traverser l’océan sans mourir de mélancolie ou d’être approché par des humains peu habitués à côtoyer des animaux de son espèce. C’est de ces deux-là que parle Audeguy quand il écrit : « Et, tandis qu’il leur expliquait quels nuages s’amoncelaient sur leurs têtes, les bêtes s’endormaient, bercées par cette voix chantante qui leur était un charme, et presque un pays. »