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Police d’Hugo Boris : l’envers du décor

Par Anthony, le 28-09-2016
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2016' composée de 10 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2016. Voir le sommaire de la série.

Aristide. Érik. Virginie. Trois flics lambda, de ceux qui se trouvent derrière le combiné du 17 pour intervenir sur une rixe, une voiture mal garée, une ivresse sur la voie publique…  Les petites mains du maintien de l’ordre, habituées à être accueillies avec des noms d’oiseaux, préposées au sale boulot, abonnées aux horaires infernaux pour une rétribution modeste et peu sujette aux progressions exponentielles. Gardiens de la paix ou « éboueurs de la société », comme ils se qualifient eux-mêmes auprès d’Hugo Boris, qui s’est immergé dans un commissariat pour préparer son roman…

L’unité de lieu, c’est leur véhicule. L’unité de temps, une nuit.  L’unité d’action : raccompagner un clandestin de Paris à Roissy. Une mission tombée tardivement, un soir d’été, pour suppléer aux manques d’effectifs de la police des frontières. Erik, Aristide et Virginie s’y collent et se dirigent vers le centre de rétention de Vincennes pour prendre livraison d’un clandestin tadjik. Asomidin Tahirov. Le quatrième larron de cette histoire, dont le sort devient le centre névralgique de cette fiction qui embrasse une réalité plus que contemporaine.

Hugo Boris confirme des qualités de portraitiste déjà admirables lues dans Trois Grands Fauves.

Aristide. Le fier à bras, solidement campé sur ses jambes musclées, avec son « petit cul de mâle alpha », toujours prêt à la vanne pas classe, le joyeux luron un peu vulgaire, humoriste de la cantoche, mais bon camarade, rassurant en mission, faussement décontracté mais toujours impliqué. Les pages qu’Hugo Boris consacre à la description d’Aristide, dès le début du roman, sont parmi les plus réussies, tant il cerne avec une précision folle, par addition de situations, un profil masculin qui résonne immédiatement. Il confirme des qualités de portraitiste déjà admirables lues dans Trois grands fauves, son précédent roman consacré à des fragments de la vie de Danton, Victor Hugo et Churchill.

Aristide conduit le véhicule. Derrière lui, Virginie. La jeune mère de famille, empêtrée dans son uniforme trop grand, dans son gilet pare-balles trop lourd, dans sa vie trop fade. Virginie qui doit composer avec un drame intime, son avortement prévu le lendemain matin, afin de se débarrasser d’un autre clandestin, celui qui s’est installé par erreur dans son utérus après un moment d’égarement avec Aristide, justement… Elle demande un détour par une pharmacie afin d’avaler les médicaments requis, sale boulot parmi le sale boulot, qu’Aristide consentira à faire non sans de maladroites réticences. « Il n‘était qu’un pauvre mec qui voulait que ses gamètes lui survivent. »

Au milieu de ce couple mal assorti, à la place du mort, Erik, le plus gradé, les plus expérimenté, le policier fiable qui essaye d’évacuer son quotidien en avalant des kilomètres de bitume en short et baskets, pour mieux obéir, aussi aveuglément que possible, aux impératifs de ses missions quotidiennes. « Il s’était laissé mécaniser, abîmer par le métier, ne donnait plus aux gens que de la technique ».  Une carapace formée pourtant sur des ruines, menaçant de craquer à la moindre insinuation du grain de sable de trop dans ses certitudes.

Et le doute s’appelle Asomidin Tahirov. Il va ébranler ces trois policiers le temps des quelques kilomètres à franchir entre Vincennes et Roissy. Car Virginie ne va pas respecter les consignes habituelles, imaginées pour éviter justement les cas de conscience. Elle va ouvrir le dossier cacheté du clandestin et découvrir qu’un retour dans son pays d’origine le conduirait à une mort certaine… « Mais ce soir, c’est trop pour elle. » Que faire quand la mort s’invite dans une mission d’une triste banalité ? Comment continuer à ne pas voir ce qu’on se prend en plein visage, à l’issue d’une journée où le sordide s’est déjà plusieurs fois invité à sa table ? Comment rester insensible – une fois de trop ? – au drame humain ?

Pointer du doigt le moment où tout bascule, l’instant où la possibilité de ne plus subir se présente.

Le sujet de Police est sensible, a fortiori par les temps qui courent… On pourrait y voir dans l’intention d’Hugo Boris une volonté de redorer le blason de la fonction policière, de démontrer que l’humain demeure derrière la fonction, que tout est plus compliqué que ça en a l’air. D’une certaine manière, Hugo Boris, en bon écrivain qu’il est, parvient à susciter une forte empathie pour tous ses personnages. Il tombe peut-être dans le piège qu’il s’est lui-même tendu, en faisant preuve parfois d’une forme de manichéisme où, finalement, tout le monde est « gentil ». A mesure que l’avion se rapproche pour Tahirov, les 3 policiers sont presque sans nuance face au drame humain qui se noue, faisant appel parfois à des séquences un peu too much (l’envie de vomir de Virginie face à l’injustice). Mais on peut également dépasser la simple question du maintien de l’ordre, celle d’une chaîne de commandement qui suppose l’adhésion aveugle (faute de quoi la société risquerait de vaciller car « ils sont les maillons d’une cascade hiérarchique qui va du gardien au ministre »), pour projeter la problématique vers la question de la révolte. Et pointer du doigt le moment où tout bascule, l’instant où la possibilité de ne plus subir se présente. Jusqu’où notre humanité accepte-t-elle de s’effacer derrière les exigences de notre fonction sociale ?

La révolte est vaine mais libératoire, comme un cri dans le désert.

Hugo Boris met en scène la question contemporaine de notre docilité face à un système plus fort que nous, une structure sociale qui broie tout sur son passage mais peut faire naître la tentation du coup d’éclat, l’émergence d’un espace de libération des frustrations. L’issue de cette histoire est hélas peu optimiste, car les gesticulations morales se prennent le mur de la réalité en plein visage. C’est le constat qu’en fait Hugo Boris. La révolte est vaine mais libératoire, comme un cri dans le désert, et permet d’entrevoir, pour les personnages de Police, quelques changements dans leur manière de voir le monde et de s’y positionner en tant qu’êtres humains. Mais, à date, rien n’empêche encore les avions de s’envoler pour raccompagner les passagers clandestins…