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Les Filles d’Avril : filles au bord de la crise de nerfs

Présenté le 20 mai 2017 à Un Certain Regard. Durée : 1h30. Sortie le 2 août 2017.

Par Thomas Messias, le 20-05-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2017' composée de 22 articles. En mai 2017, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

À mesure qu’elle s’étoffe, la filmographie de Michel Franco ressemble de plus en plus à un gigantesque catalogue de sujets tabous. Il y eut d’abord deux films estampillés “coup de poing”, avec tout ce que cela implique de péjoratif : Daniel y Ana et son inceste forcé, Después de Lucía et son ado témoin de la mort de sa mère puis victime de harcèlement scolaire. Après l’inédit A los ojos, l’incursion américaine Chronic (et son héros infirmier en soins palliatifs, incarné par Tim Roth) laissait entrevoir la possibilité d’un cinéma toujours dérangeant mais néanmoins plus low key, comme si le cinéaste mexicain ambitionnait de délaisser l’agressivité de ses débuts pour traiter les thématiques qui l’amusent avec davantage de profondeur. Mais le calme affiché par Chronic était également assez révélateur du caractère superficiel de l’ensemble : refuser à la fois la psychologie et les effets gratuits, c’était risquer de tomber dans un vortex de vacuité.

Las hijas de Abril semble emprunter la même direction que Chronic. Artistiquement, le lien est fort entre les deux films : dès la première séquence, un long plan quasiment fixe dans une cuisine, c’est la même mise en scène, le même choix d’angles, la même utilisation d’un décor qui aurait pu être commun aux deux films (on imaginerait volontiers le personnage de Tim Roth venir y préparer une salade). Mais si Chronic ressemblait à une très longue phase de calme avant la tempête, le Franco de Las hijas de Abril pas aussi désireux de faire patienter son audience. Le premier choc survient en moins d’une demi-heure, lorsque Abril (Emma Julieta Suárez), mère absente qui revient soudain envahir la maison familiale où vivent ses deux filles, décide de faire adopter le bébé que sa fille Valeria, 17 ans, vient de mettre au monde. Coup de tonnerre : elle qui semble ne pas se soucier de ses filles au point qu’elle ne se souvient plus de leurs âges vient se livrer à la plus terrible des ingérences en privant une jeune mère d’un bébé dont elle s’occupait relativement bien.

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Chez Abril, chaque geste ne fait que contribuer à posséder l’autre, à maîtriser totalement les situations et les relations entre les êtres.

Tout est affaire de vampirisme. C’est l’histoire d’une mère qui, refusant qu’on la tue (au sens figuré), finit par prendre le contrôle de l’existence de ses filles avec un terrifiant autoritarisme. Jusqu’à aller évidemment trop loin. Outre Valeria, il y a sa sœur aînée, Clara, qui souffre de son célibat et de son ventre pas plat, et que Abril va contraindre à la plus humiliante des diètes. Ce pan de l’intrigue restera secondaire, mais il contribue à construire le portrait de cette femme abusive pour qui les gens sont des jouets qu’on peut s’attribuer par caprice avant de les jeter violemment au sol quand surviennent les premiers signes de lassitude. Chez Abril, chaque geste ne fait que contribuer à posséder l’autre, à maîtriser totalement les situations et les relations entre les êtres. Même sa façon de faire l’amour glace le sang. Glaçante mante religieuse.

On a connu Franco plus frontal, plus provocateur, plus grossier dans sa façon de faire se télescoper les êtres. Il n’empêche que la mayonnaise de Las hijas de Abril ne prend pas. La faute à ce sempiternel refus de toute forme de psychologie qui permet au scénario de dérouler les scènes perturbantes en toute facilité, au mépris de la profondeur. On n’en retient que le sensationnalisme, ce qui n’est jamais bon signe. Attendu au tournant après s’être permis pas mal de partis pris dégueulasses dans ses précédents longs-métrages, Michel Franco n’a en fait plus beaucoup de marge de manœuvre. À chaque nouvelle scène, a fortiori si le plan est fixe et semble être amené à durer, on se demande de quelle façon le metteur en scène finira par y injecter une dose de sordide. Souvent, cela n’arrive pas, ce qui crée une déception et nous plonge dans la situation désagréable du voyeur pervers qui n’a pas eu son shot de glauquerie. Parfois, Franco nous donne raison, récoltant au mieux un frisson immédiat et éphémère, comme si l’on était en train de zoner devant un Faites entrer l’accusé. Dans tous les cas, ça n’est pas très reluisant. Ni pour lui, ni pour nous.

La fin peut sembler courageuse, mais une fois encore tout n’est qu’apparence : en organisant la résistance des filles d’Abril face à cette mère qui a gangrené leurs existences, Franco nous fait croire à des jours meilleurs qui n’existent pas. L’ultime plan est au choix d’une totale naïveté ou d’une franche bêtise. Sous prétexte de fin ouverte, Franco abandonne les protagonistes à leur sort avec un mépris assez ahurissant. Qu’il se débarrasse une bonne fois pour toutes de ses envies de sensationnalisme et nous revienne enfin avec un film qui ait des tripes et du cœur, lavé d’un cynisme dont on a totalement fait le tour.

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