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West of the Jordan river (Field diary revisited) : journal intime des affaires en cours

Présenté le 21 mai 2017 à la Quinzaine des Réalisateurs. Durée : 1h28.

Par Thomas Messias, le 22-05-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2017' composée de 22 articles. En mai 2017, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

En 1982, un cinéaste trentenaire nommé Amos Gitaï tournait un documentaire, Journal de campagne (Field diary en version originale), journal tourné dans les terres occupées et décrivant notamment le mal-être des Palestiniens et la gêne des soldats israéliens. Une cinquantaine de plans-séquences, décrits par le réalisateur comme des « capsules », formait le journal intime d’un territoire perclus par la souffrance, comme un enfant dont les parents se disputeraient la garde. Un témoignage fort et viscéral dont West of the Jordan river se prétend être la suite. L’idée d’un bilan effectué trente-cinq ans après, toujours sous la forme de capsules, était forcément séduisante. Observer de l’intérieur ce conflit israélo-palestinien au sujet duquel il est souvent difficile d’avoir l’esprit clair est loin d’avoir bénéficié, c’était se donner une chance supplémentaire d’en évaluer les avancées, quitte à conclure sur son insolubilité.

La force cinématographique du documentaire est hélas très limitée. Les capsules proposées par le metteur en scène sont souvent d’une pauvreté assez regrettable, le cinéaste ne parvenant visiblement pas à les mettre en perspective et à tirer des fils entre le jeune Gitaï des années 80 et celui d’aujourd’hui, potentiellement plus à même de porter un regard plein de discernement. Les observations effectuées sont souvent assez pauvres ; la souffrance des peuples tiraillés dans cette guerre permanente mérite toujours soulignée, mais le constat teinté d’accablement ne débouche hélas sur rien de vraiment palpable. La seule idée forte développée par Gitaï, qui court sur plusieurs capsules, c’est le fait que la résignation des civils et des civiles a fini par les pousser à prendre des initiatives individuelles, ou en tout cas à se mobiliser en petits groupes. L’initiative locale et le militantisme à petite échelle sont visiblement les seules façons d’avancer. Résoudre le conflit israélo-palestinien ? Peine perdue. Autant avancer ensemble et tâcher d’aspirer au bonheur sans trop se soucier d’enjeux qui nous dépassent. Interrogée dans le film, l’éditorialiste d’un grand quotidien israélien de gauche l’affirme elle-même : d’ici une dizaine d’années, l’idée de parvenir à fédérer en bâtissant un grand Etat juif n’existera même plus.

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C’est dans cette optique que Gitaï part à la rencontre de plusieurs groupes de soutien et d’entraide qui se sont construits de façon plus ou moins naturelle, avec ou sans statuts. Il est assez touchant de voir des mères israéliennes et palestiniennes composer ensemble le dénommé Cercle des parents, qui permet aux parents ayant perdu un enfant dans le cadre du conflit se pouvoir trouver et proposer du soutien moral à leurs congénères. Au-delà de la simple notion de groupe de parole (qui se déroule ce jour-là sous la forme d’un club de couture, afin de rendre les discussions moins pesantes), c’est la possibilité d’une coexistence qui réjouit. Lorsqu’une israélienne et une palestinienne découvrent que la douleur n’a pas de camp, que l’autre est aussi humaine que soi-même, c’est un immense pas qui est franchi. Un pas sur lequel mille traités de paix n’auraient hélas pas pu déboucher. Ailleurs, il existe d’autres réunions moins apaisées mais tout aussi importantes, comme celles de cette association qui apprend aux femmes palestiniennes comment filmer les exactions pour mieux les dénoncer. Superbe cours de résistance en une poignée de minutes.

Gitaï semble juste avoir envie de montrer qu’il est là, qu’il est partout, que c’est bien lui qu’on apostrophe dans la rue comme s’il était le sauveur.

Ces beaux moments sont hélas dilués dans d’autres beaucoup plus attendus ou didactiques. Les interventions d’experts et expertes sont souvent assez pénibles à écouter. De deux choses l’une : soit les capacités d’intervieweur de de monteur de Gitaï sont à remettre en cause sérieusement, soit les spécialistes qu’il a choisi d’interroger sont de la trempe de nos Christophe Barbier et autres Alain Minc. Il faudrait faire preuve d’une connaissance profonde d’Israël et de la Palestine pour parvenir à le savoir. Autre problème, et pas des moindres : l’omniprésence de Gitaï à l’écran. Qu’il se filme en préambule afin de faire le pont avec Journal de campagne semble relativement normal. Mais que le réalisateur s’offre mille plans de coupe pendant les entretiens menés a quelque chose de bien plus problématique. L’idée n’est même pas de se mettre en scène façon Michael Moore, idée déjà discutable. Gitaï semble juste avoir envie de montrer qu’il est là, qu’il est partout, que c’est bien lui qu’on apostrophe dans la rue comme s’il était le sauveur, que c’est bien lui qui est allé à la rencontre de ces femmes éplorées. Aucune de ses nombreuses interventions à l’écran ne débouche sur quelque chose. Pas un gramme de cinéma supplémentaire, pas le moindre télescopage entre l’artiste et la société qu’il entend filmer. Juste la sensation de faire quelques pas avec un artiste à l’ego un peu trop gonflé, qui n’a pas su se mettre en retrait alors que son film, déjà imparfait, y aurait profondément gagné.

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